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TAGORE

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Je ne sais comment, j'ai finalement rencontré Tagore assez tardivement sur ma route. Je trouve cela assez étrange que cet homme, lumière de l'orient, soit si peu connut en occident. En Inde, au Bangladesh, lorsque l'on dit : "Le Poète", tous le monde sait que l'on parle de Rabindranath Tagore. Ses poèmes m'ont ému, par leur amour et leur humilité ils  m'ont élevé, ses textes m'ont éclairé, gratitude.

Merci encore pour ces mots : "Seigneur, que je fasse seulement de ma vie un chose simple et droite, pareil à une flûte de bambou que tu puisse emplir de musique."

Sâdhana

L’Upanishad nous dit : « La divinité qui se manifeste dans les activités de l’univers réside toujours dans le cœur de l’homme comme âme suprême. Ceux qui la réalisent par la perception directe du cœur parviennent à l’immortalité. »

Ce Dieu est Vishvakarma (littéralement : « faire toute les actions », l’architecte de l’univers.), c’est-à-dire que sa manifestation extérieure dans la nature consiste en une multiplicité de formes et de forces, mais sa manifestation intérieur en notre âme est dans l’unité. Notre recherche de la vérité dans le domaine de la nature s’effectue par l’analyse et les méthodes progressives de la science, mais notre appréhension de la vérité dans notre âme est immédiate et par intuition directe. Nous ne pourrons jamais atteindre l’âme suprême par des additions successives de connaissances acquises en lambeau, fût-ce dans toute l’éternité, car Il est un et n’est pas composé de parties ; nous ne pouvons Le connaître que comme le cœur de notre cœur et l’âme de notre âme ; nous  pouvons Le connaître seulement dans l’amour et la joie que nous éprouvons lorsque nous renonçons et que nous Le voyons face à face.

La prière la plus profonde et la plus intense qui se soit jamais élevé du cœur humain, a été exprimé en sanskrit : « Ô Toi qui te révèle Toi-même, révèleToi en moi. » Nous sommes misérables parce que nous sommes des créatures de l’ego - l’ego intransigeant, étroit, qui ne reflète aucune lumière, qui reste aveugle devant l’infini. Notre ego retenti de ses propres clameurs discordantes ; il n’est pas la lyre bien accordée qui vibre de la musique de l’éternel. Des soupirs de mécontentement, la lassitude des échecs, les vains regrets du passé, l’angoisse pour l’avenir viennent troubler notre cœur trop superficiel parce que nous n’avons pas encore trouvé notre âme, et que l’esprit qui se révèle lui-même ne s’est pas encore révélé en nous. D’où notre appel : «  Ô Toi qui est terrible sauve-moi par le sourire de Ta grâce, encore et à jamais! » C’est dans un linceul étouffant que nous enveloppe cet orgueil de l’ego, ces appétits insatiables, cette vanité de la possession, cette insolente aliénation du cœur. «  Rudra, ô Toi qui est terrible, déchire en deux ce voile épais, permet que le rayon sauveur de Ta grâce souriante perce ces lugubres ténèbres et réveille mon âme. »

« De l’irréel conduis-moi au réel, de l’obscurité à lumière, de la mort à l’immortalité. » Mais comment peut-on espérer que cette prière soit exaucée? La distance qui sépare la vérité de l’erreur, la mort de l’immortalité, n’est-elle pas infinie? Pourtant cet abîme immense est franchi en un instant lorsque Celui qui Se révèle Soi-même fait son apparition dans l’âme. C’est là que le miracle se produit, car là se rejoignent le fini et l’infini. « Père, balaie complètement tous mes péchés. » Car dans le péché, l’homme prend parti pour le fini, contre l’infini qui est en lui. C’est une défaite de son âme par son ego. C’est un jeu dangereux où l’on perd toujours, et dans lequel l’homme joue le tout pour gagner un fragment. Le péché est l’estompage de la vérité ; il cache la pureté de notre conscience. Dans le péché, nous aspirons à des plaisirs, non pas parce qu’ils sont véritablement désirables, mais parce qu’ils paraissent tels à la rouge lueur de nos passions. Nous désirons des objets non parce qu’ils sont grand en eux-mêmes, mais parce que nos appétits les magnifient et les font paraître grands. Ces exagérations, ces déformations de la perspective des choses rompent à chaque pas l’harmonie de notre vie ; nous perdons de vue la véritable échelle des valeurs, nous sommes distraits par les fausses prétentions des divers intérêts qui dans notre vie luttent les uns contre les autres. C’est par suite de cette incapacité à faire entrer tous les éléments de sa nature sous la direction unifiante du Suprême unique que l’homme ressent la douleur d’être séparé de Dieu et lance cet appel éperdu : « Ô Dieu, ô Père, balaie complètement tous mes péchés. » « Donne-nous ce qui est bon », le bien qui est le pain quotidien de notre âme. Dans nos plaisirs, nous sommes limités à nous-mêmes ; dans le bien, nous sommes libérés et nous appartenons à tous. De même que l’enfant dans le sein maternel est nourri par l’union de sa vie avec la vie plus vaste de la mère, de même notre âme est uniquement nourrie par le bien, qui est la reconnaissance de notre parenté intérieure, le canal par lequel l’âme communique avec l’infini qui l’entoure et la fait vivre. Aussi dit-on : « Heureux ceux qui ont faim et soif de justice, car ils seront rassasié. » La justice en effet est la divine nourriture de l’âme. Rien d’autre ne peut alimenter l’homme, le faire vivre de la vie de l’infini, l’aider dans sa croissance vers l’éternel. « Nous nous prosternons devant Toi de qui vient le bien de notre âme. » « Nous nous prosternons devant Toi qui est le bien, le plus haut bien », en qui nous sommes avec tout ce qui est, dans la paix et l’harmonie, la bonté et l’amour.

Ce que l’homme appelle de toutes ses forces, c’est la réalisation de sa plus complète expression. C’est ce désir de s’exprimer qui le conduit à rechercher la richesse et la puissance. Mais il doit apprendre qu’accumuler n’est pas réaliser. Ce qui le révèle à lui-même, c’est la lumière intérieure, et non les objets extérieurs. Lorsque cette lueur jaillit, il sait instantanément que la plus haute révélation de l’Homme est la révélation de Dieu en lui. Et c’est cela qu’il appelle cette manifestation de son âme. L’homme devient l’homme parfait et atteint sa plus pleine expression lorsque son âme se réalise dans l’être infini qui est âvih, et dont l’essence est expression.

1. Dans les Vedas, « Âvih » est un des noms attribué à Dieu, signifiant « Celui dont la nature est de se manifester ». Selon cette épithète, la création n'est pas pour témoigner de la puissance et de la richesse de Dieu, c'est une activité sans fin de sa propre liberté naturelle, c'est une fin en soi. C'est le caractère de toutes les œuvres d'art.

2. Sâdhanâ signifie en Sanskrit : ascèse, discipline.

Poèmes extraits de 

Gitanjali
"L'Offrande Lyrique"
de Rabindranath Tagore 


 

IV

 

Vie de ma vie, toujours j’essaierai de garder mon corps pur, sachant que sur chacun de mes membres repose ton vivant toucher.

Toujours j’essaierai de garder de toute fausseté mes pensées, sachant que tu es cette vérité qui éveille la lumière de la raison dans mon esprit.

Toujours j’essaierai d’écarter toute méchanceté de mon cœur et de maintenir en fleur mon amour, sachant que tu as ta demeure dans le secret autel de mon cœur.

Et ce sera mon effort de te révéler dans mes actes, sachant que c’est ton pouvoir qui me donne force pour agir.
 

 


VII
 

Mon chant a dépouillé ses parures. Je n’y mets plus d’orgueil. Les ornements gêneraient notre union ; ils s’interposeraient entre nous, et le bruit de leur froissement viendrait à couvrir tes murmures.

Ma vanité de poète meurt de honte à ta vue. Ô Maître-Poète ! je me suis assis à tes pieds. Que seulement je fasse de ma vie une chose simple et droite, pareille à une flûte de roseau que tu puisses emplir de musique.
 


IX
 

Ô insensé, qui essaies de te porter sur tes propres épaules ! Ô mendiant, qui viens mendier à ta propre porte !

Dépose tes fardeaux entre les mains de celui qui peut tout porter, et jamais ne jette un regard de regret en arrière.

Ton désir éteint la flamme de la lampe aussitôt que l’atteint son souffle. Il est profane et ses mains sont souillées ; n’accepte aucun don qu’il te tende. Mais cela seulement que t’offrira l’amour sacré.





XIII

 

Le chant que je devais chanter n’a pas été chanté jusqu’à ce jour.

J’ai passé mes jours à accorder et à désaccorder ma lyre.

Je n’ai pas pu trouver le juste rythme ; les mots n’ont pas été bien assemblés ; il reste seulement l’agonie du souhait dans mon cœur.

La fleur ne s’est pas ouverte ; seulement, auprès d’elle, le vent soupire.

Je n’ai pas vu sa face, je n’ai pas prêté l’oreille à sa voix ; seulement, j’ai entendu ses pas tranquilles sur la route devant ma maison.

Tout le long jour de ma vie s’est écoulé tandis que je dressais dans ma maison son siège ; mais la lampe n’a pas été allumée, et je ne puis l’inviter à entrer.

Je vis dans l’espoir de sa rencontre ; mais cette rencontre n’est pas encore.

 

XIV

 

Mes désirs sont nombreux et ma plainte est pitoyable, mais par de durs refus tu m’épargnes toujours ; et cette sévère clémence, tout au travers de ma vie, s’est ourdie.

Jour après jour tu me formes digne des grands dons simples que tu répands spontanément sur moi — ce ciel et la lumière, ce corps et la vie et l’esprit — m’épargnant les périls de l’excessif désir.

Parfois languissant je m’attarde ; parfois je m’éveille et me hâte en quête de mon but ; mais alors cruellement tu te dérobes de devant moi.

Jour après jour tu me formes digne de ton plein accueil : en me refusant toujours et encore, tu m’épargnes les périls du faible, de l’incertain désir.

 


XVII

 

J’attends seulement l’amour pour me renoncer moi-même entre ses mains. C’est pourquoi il est si tard, c’est pourquoi je me suis rendu coupable de telles omissions.

Ils viennent avec leurs lois et leurs codes pour m’attacher ; mais moi je leur échappe toujours, car j’attends seulement l’amour pour me renoncer moi-même entre ses mains.

Les autres me blâment et m’appellent négligent ; je ne doute pas qu’ils n’aient raison dans leur blâme.

Le jour du marché est passé et tout le travail des affaires est terminé ; ceux qui me réclamèrent en vain s’en sont retournés en colère. J’attends seulement l’amour pour me renoncer enfin moi-même entre ses mains.

 

 

 

XVIII

 

Les nuages s'entassent sur les nuages ; il fait sombre. Amour ! ah pourquoi me laisses-tu dehors attendre tout seul à la porte ?

Dans l’affairement du travail de midi, je suis avec la foule ; mais par ce sombre jour solitaire je n’espère seulement que toi.

Si tu ne me montres point ta face, si tu me laisses complètement de côté, je ne sais pas comment je traverserai ces longues, ces pluvieuses heures.

Je reste à contempler le large obscurcissement du ciel et mon cœur plaintif rôde avec le vent sans repos.

 

XIX

 

Si tu ne parles pas, certes j’endurerai ton silence ; j’en emplirai mon cœur. J’attendrai tranquille, la tête bas penchée, et pareil à la nuit durant sa vigile étoilée.

Le matin sûrement va venir ; la ténèbre céder, et ta voix va s’épandre en jaillissements d’or ruisselant à travers le ciel.

Tes paroles alors s’essoreront en chansons de chacun de mes nids d’oiseaux et tes mélodies éclateront en fleurs sur toutes les charmilles de mes forêts.

 

XX

 

Le jour que la fleur de lotus s’ouvrit, hélas ! mon esprit errait à l’aventure et je ne le pus pas. Ma corbeille était vide et la fleur resta délaissée.

Mais parfois et encore une tristesse s’abattait sur moi : je m’éveillais en sursaut de mon songe et sentais la suave trace d’une étrange fragrance dans le vent du sud.

Cette vague douceur faisait mon cœur malade de désir ; il me semblait reconnaître l’ardente haleine de l’été s’efforçant vers sa perfection.

Je ne savais pas alors que c’était si près, que c’était mien, et que cette suavité parfaite s’était épanouie au profond de mon propre cœur.

 



XXVIII

 

Tenaces sont mes entraves, mais le cœur me fait mal dès que j’essaie de les briser.

Je n’ai besoin que de la délivrance, mais je me sens honteux d’espérer.

Je suis certain qu’une inestimable opulence est en toi et que tu es mon meilleur ami, mais je n’ai pas le cœur de balayer de ma chambre tous les oripeaux qui l’emplissent.

Le drap qui me couvre est un linceul de poussière et de mort ; je le hais mais je l’étreins avec amour.

Mes dettes sont grandes, mes défaillances sont nombreuses, ma honte est pesante et cachée ; mais quand je viens à réclamer mon bien, je tremble de peur que ma requête ne soit exaucée.

L

 

J’étais allé, mendiant de porte en porte, sur le chemin du village lorsque ton chariot d'or apparut au loin pareil à un rêve splendide et j’admirais quel était ce Roi de tous les rois !

Mes espoirs s’exaltèrent et je pensais : c’en est fini des mauvais jours, et déjà je me tenais prêt, dans l’attente d’aumônes spontanées et de richesses éparpillées partout dans la poussière.

Le chariot s’arrêta là où je me tenais. Ton regard tomba sur moi et tu descendis avec un sourire. Je sentis que la chance de ma vie était enfin venue. Soudain, alors, tu tendis ta main droite et dis : « Qu’as-tu à me donner ? »

Ah! quel jeu royal était-ce là de tendre la main au mendiant pour mendier ! J’étais confus et demeurai perplexe ; enfin, de ma besace, je tirai lentement un tout petit grain de blé et te le donnai.

Mais combien fut grande ma surprise lorsque, à la fin du jour, vidant à terre mon sac, je trouvai un tout petit grain d’or parmi le tas de pauvres grains. Je pleurai amèrement alors et pensai : Que n'ai-je  eu le cœur de te donner mon tout.

Amour Amour Amour

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