MARIE LATASTE
Marie Lataste est très peu connue. Elle a reçu la parole du Seigneur et l'a écrite dans des cahiers. En voici un passage. C'est toujours le Créateur ou le Christ qui parle, quelque fois l'Esprit Saint. Gratitude.
CAHIERS
DES PIÈGES DU DÉMON
QUANT À L'AMOUR-PROPRE
Un homme est dans la bonne voie, il veille sur soi, il s’observe sur tout et déteste le péché. Voici comment de juste il peut devenir coupable, et de fils de Dieu, fils de Satan. L’ennemi de son salut ne lui proposera pas, dès le commencement, des fautes graves, il lui inspirera pas de mauvaises pensées, il sait qu’agir ainsi serait s’exposer à une défaite. Non, le Démon laisse cet homme en repos pendant quelque temps, il le soutient même dans sa dévotion, bien loin de l’en détourner; il lui inspire dans l’oraison des pensées sublimes, qui sont pour lui pleines de consolations, et auxquelles il s’attache aux dépens de la gloire de Dieu, qu'il devrait uniquement chercher. Alors le Démon suggère à cet homme une vaine complaisance pour lui-même, lui persuade qu'il est quelque chose et même plus que les autres, et cet homme, au lieu de repousser ces pensées pour tourner ses regards vers Dieu et lui rapporter tout ce qu'il a, écoute la voix du séducteur, reçoit avec calme ses malignes inspirations, et, par une criminelle injustice, ravit à Dieu, en se l’appropriant, un bien qu'il tenait de sa miséricorde. Ainsi, cet homme pratique la vertu non en vue de Dieu, mais pour sa propre satisfaction, croyant être aussi bon qu'il se le persuade à cause de la paix et des consolations qu'il éprouve. Le Démon profite de cela pour endormir sa vigilance, il l’amuse par de vaines imaginations, lui persuade qu'il jouit de Dieu et lui fait négliger la garde de son cœur. Dès lors il rallume les passions dans le cœur de ce malheureux, qui, aveuglé par son amour-propre, ne s’en aperçoit pas. Voyez pourtant comme l’abîme s’entr’ouvre sous ses pas. S’il reçoit la moindre injure, lui qui se croit un saint, il la supporte avec grande peine et ne peut guère l’oublier ni la pardonner. Il ne peut souffrir ni un reproche ni une représentation quelconque, parce qu'il se croit plus sage et plus éclairé que nul autre; tout l’offense, un mot, une parole, un rien. Il finit par n’avoir plus qu’un désir, celui d’être loué et honoré par tout le monde. »
LA FOI, L'ESPÉRANCE ET LA CHARITÉ
LIVRE HUITIÈME, chapitre 7
Gloire et louange, amour et reconnaissance soient à jamais rendus à Jésus au saint sacrement de l’autel, au Père et au Saint-Esprit dans tous les siècles des siècles, Amen.
« La grâce sanctifiante met dans l'âme les trois vertus de foi, d’espérance et de charité pour la diriger vers Dieu; celles de justice, de force, de prudence et de tempérance pour la diriger dans ses rapports avec les créatures, et enfin les sept dons du Saint-Esprit pour la disposer à recevoir les mouvements qu'il donne à ceux qui veulent se sauver. » Il ne me parla ce jour-là que de la foi, de l’espérance et de la charité.
« La foi, me dit-il, peut s’entendre de plusieurs manières, comme l’espérance, la charité et la grâce.
« La foi désigne le jugement intérieur de l'âme, qui marque le bien et le mal; comme on vous dit d'un homme : Il a fait cela de bonne foi, ou de mauvaise foi. « La foi désigne la fidélité à tenir un pacte ou une promesse.
« La foi désigne la confiance que l’on a en la parole de quelqu'un.
« La foi désigne cette inclination par laquelle quelqu'un donne son assentiment, sans crainte d’être trompé, à ce qu'il ne voit pas pourtant d'une manière précise. « La foi désigne un des dons gratuits de Dieu par lequel on a une certitude suréminente des choses qu'on doit croire.
« La foi désigne le caractère distinctif entre les chrétiens et ceux qui ne le sont pas, c'est le baptême.
« La foi désigne la matière ou la réunion des vérités qu'il faut croire, ou les symboles.
« La foi désigne une habitude informe et sans vie, insuffisante au salut, la foi sans les œuvres.
« Voilà les diverses manières d’entendre la foi; mais la foi dont je veux vous parler et que vous ne devez pas confondre avec ces sortes de foi, c'est la foi théologique, la vertu surnaturelle de foi.
« La foi est une vertu surnaturelle, par conséquent un don de Dieu.
« La foi est la première des vertus et le fondement des autres vertus. Elle est avant l’espérance, parce que pour espérer il faut savoir ce qui fait l’objet de cette espérance. Elle est avant la charité, parce que la charité c'est l'amour, et pour aimer aussi, il faut connaître l’objet de cet amour. Or, la foi fait connaître Dieu et ce qui a rapport à Dieu. C'est donc sur elle que reposent l’espérance et la charité.
« La foi peut exister seule sans la charité et l'espérance. Mais l’espérance ne peut exister sans la foi. La charité aussi, du moins ici-bas, demande la foi pour exister. Je dis du moins ici-bas, parce que la foi et l’espérance ne sont que des vertus du temps : elles n’existeront point dans l’éternité parce qu'elles n’auront plus de raison d’être. Dans le ciel on voit Dieu face à face, par conséquent la foi est inutile; dans le ciel on possède Dieu, par conséquent on ne l’espère plus.
« La foi est la première des vertus dans l’ordre de l’existence, mais non dans celui de la dignité. La charité est la plus considérable des vertus; elle en est la vie.
La foi est nécessaire au salut, ma fille. Le salut, en effet, n'est que la conclusion de la perfection d’un être raisonnable. Or, la perfection de cet être ne consiste pas seulement dans la possession de tout ce qui en constitue la nature, mais encore dans la réception du mouvement qui est donné à cette nature par une nature supérieure. Vous rappelez-vous ce que je vous ai dit des deux mouvements de l'homme, le mouvement vers l’existence et le mouvement de retour vers Dieu ? Le mouvement vers l’existence, c'est le don de tout ce qui convient à la nature humaine ; le mouvement de retour vers Dieu, c'est le mouvement que la nature divine, supérieure à la nature humaine, donne à celle-ci pour la diriger dans le bien. Avec ce mouvement, on va droit au bien, droit à Dieu, droit à l’éternelle félicité. Or, la première condition pour la réception de ce mouvement, c'est la foi qui fait connaître Dieu, qui fait tendre vers lui en appréciant ce qui est en lui et ce qu'il veut mettre en vous. Celui qui n’a pas la foi ressemble à une maison dont les portes sont fermées, où Dieu voudrait entrer, mais où il n’entre pas parce que le maître ne l’ouvre pas. S’il y entrait, il y apporterait la lumière, mais parce qu'il n'y pénètre pas, cette maison demeure dans l’obscurité et les ténèbres. Sans la foi donc, il est impossible de plaire à Dieu, parce que c'est repousser Dieu. Sans la foi on ne peut être sauvé, parce qu'on n'est pas uni à Dieu. Sans la foi, on encourt la condamnation de Dieu, parce qu'on se laissera aller à toutes ses inclinations, parce qu’on commettra le péché, et que le péché demande condamnation.
« Les avantages de la foi sont immenses pour une âme. La foi, c'est une arme contre le monde : elle triomphe de lui et le foule aux pieds. Car, par la foi, on repousse la concupiscence de la chair, parce qu’on sait que tout passera en ce monde et qu'il ne restera qu’une seule chose : le bien et le mal qu’on aura fait. On repousse la concupiscence des yeux, parce qu’on sait qu'il n’y a qu’une seule richesse que les voleurs ne puissent point enlever ni la rouille faire disparaître, Dieu ! On repousse l’orgueil de la vie, parce que la vue d’un Dieu humilié, crucifié et mort pour les hommes fait connaître le néant, la misère et le péché de l'homme qui ne lui permet pas de s’enorgueillir.
« La foi est un bouclier contre Satan et contre ses traits. Vainement cherchera-t-il à frapper celui qui a la foi, à l’entraîner dans la révolte, à le faire tomber dans le péché. Celui qui a la foi sait que Satan veut sa perte et sa damnation, il sait que Dieu veut son salut et son bonheur, il écoutera Dieu et repoussera Satan.
« La foi est par conséquent un éloignement du péché. Celui qui résiste au monde et à Satan n’a plus qu’un autre ennemi : lui-même et ses passions ; mais il a en lui la même force pour se combattre que pour repousser ses deux premiers ennemis ; il lutte, et triomphe de lui-même et de ses passions, qui deviennent pour lui l’occasion de mérites considérables.
« La foi produit la sanctification du cœur. Elle fait fuir le péché, par conséquent elle conserve la grâce, qui est état de sainteté ; elle fait avouer le péché quand on a eu la faiblesse de le commettre ; elle fait expier par la pénitence. Aussi est-elle une source de sanctification pour l’âme.
« La foi produit la crainte, non point seulement la crainte servile, c'est-à-dire la crainte de l’enfer, la crainte de la punition, mais la crainte de la séparation de Dieu, la crainte de ne point l’aimer, de ne point le servir fidèlement, de ne point lui être uni sur la terre et dans le ciel.
« La foi opère des prodiges : Celui qui a la foi transporte des montagnes.
« La foi fait exaucer les prières qu’on adresse à Dieu.
« La foi, sur la terre, relève la dignité de l'homme et le déifie en le faisant participer à la vie divine, dont elle est le commencement et l’origine en l'homme.
« Enfin, la foi assure la vie éternelle, parce que celui qui a la foi vit dans la justice, opère des œuvres bonnes et saintes qui seront l’objet de sa récompense dans l’éternité.
« Ce que je viens de vous dire sur la foi doit vous la faire estimer beaucoup, vous la faire désirer de plus en plus et vous inciter à l’augmenter autant qu'il vous sera possible, en ne faisant rien de contraire à ce don qu'il a plu au Seigneur de déposer en vous.
LIVRE HUITIÈME, chapitre 8
« Je veux vous parler maintenant de l’espérance.
« Ma fille, il y a trois sortes d’espérance : l’espérance naturelle, l’espérance surnaturelle et l’espérance criminelle.
« L’espérance naturelle est une inclination qui se trouve dans chaque individu, et le fait tendre vers un but naturel qu'il croit être bon et dans lequel il croit posséder le bonheur.
« L’espérance surnaturelle ou la vertu d’espérance est une habitude surnaturelle que Dieu met dans l’âme pour lui faire attendre avec une confiance certaine la vie éternelle et les moyens de l’obtenir par le secours de Dieu.
« L’espérance criminelle n'est une espérance que de nom. Qui dit espérance marque le bien; et quel bien peut-on attendre du crime? Ah! c'est avec raison que le prophète disait : ne mettez point votre espérance dans l’iniquité. Cette espérance est une espérance nulle, trompeuse et mensongère.
« L’espérance criminelle peut s’entendre de trois manières : l’espérance fondée sur soi, l’espérance fondée sur autrui, l’espérance fondée sur la vanité. La première est criminelle. Qu’est-ce que l'homme, ma fille, pour espérer en lui-même? L'homme n’est-il pas incapable de se suffire à lui-même, de se défendre et de mériter la récompense de l’éternité? L'homme n'est pas capable de se suffire à lui-même, car il est de l’essence des êtres tirés du néant de tendre au néant, si l’action de Dieu ne les soutenait. L'homme est faible et le démon ne tarderait pas, par ses ruses et son habileté, sa puissance et sa malice, de l’entraîner au mal, si la miséricorde de Dieu ne le soutenait à chaque moment. L'homme ne peut rien mériter par lui-même, et la pensée qui semble être la première possession de l'homme en puissance de raison, la pensée, si elle revêt un caractère de bonté surnaturelle, n'est pas à lui, car elle lui vient de Dieu. « Par conséquent, fonder sur soi son espérance, c'est faire injure à Dieu, c'est opérer le mal, c'est se perdre.
« L’espérance fondée sur les autres est une espérance criminelle. En qui placeriez-vous votre espérance, ma fille, si vous ne pouvez la placer sur vous-même? Serait-ce dans votre famille, dans vos amis, dans des hommes puissants? Mais tous les hommes, unis ensemble, sont la personnification même de la faiblesse; ils sont plus fragiles qu’un roseau et, compter sur eux, c'est être sûr d’être trompé et confondu à l'heure du danger. Votre espérance doit s’arrêter à Dieu et demeurez toujours en lui; il ne vous trompera pas, et vous pourrez dire un jour : Seigneur, j’ai espéré en vous; je ne serai point confondue.
« L’espérance dans la vanité est une espérance criminelle. Espérer dans la vanité, c'est espérer sur sa vie, qui est fugitive et transitoire comme la fumée emportée par le vent; c'est espérer sur la renommée, la gloire ou l’estime des hommes; et la renommée, la gloire et l’estime disparaissent avec la vie en face de l’éternité; c'est enfin espérer sur les richesses et les biens de ce monde; mais les richesses, les biens de ce monde, le monde lui-même, auront un terme; et peut-on placer une espérance solide sur ce qui aura un terme et une fin? L’espérance dans la vanité est une vaine espérance, une espérance qui éloigne de Dieu, par conséquent coupable et criminelle.
« La seule véritable, c'est l’espérance surnaturelle; je veux vous en faire connaître la nature, l’acte, l’objet, l’effet, la nécessité et le sujet.
« La nature de l’espérance n'est autre chose qu'une habitude, une inclination surnaturelle; par conséquent, l’espérance est un don de Dieu; toute chose surnaturelle vient de Dieu et dépasse les forces de la nature humaine. Par cette inclination, l'homme a constamment les yeux sur les biens futurs : il les regarde, il les attend avec courage, avec fermeté, avec certitude de les obtenir, parce qu'il sait que Dieu lui accordera les moyens nécessaires pour les acquérir, et en être un jour le possesseur. Celui qui a la vertu d’espérance s’oublie lui-même pour s’abandonner complètement à Dieu, pour se reposer en lui.
« L’acte d’espérance n’est rien autre chose qu'une attente, une expectative certaine, et quand vous faites un acte d’espérance, quand vous dites à Dieu : Mon Dieu, j’espère votre grâce en cette vie et la vue de votre gloire dans le ciel, vous dites en vérité : Mon Dieu, j’attends votre grâce en cette vie et la vue de votre gloire dans l’autre. Je vous ai dit que cette expectative est certaine, parce qu’elle repose sur des fondements certains, le secours de la toute-puissance de Dieu et de son immense miséricorde, sa libéralité infinie et son désir éternel que vous parveniez à la possession de ce que vous attendez.
« L’objet de l’espérance, c'est la béatitude éternelle dont vous jouirez; tel est le premier objet de votre espérance, la possession de Dieu. L’objet secondaire, ce sont les grâces de Dieu, les secours de Dieu, la protection de votre Sauveur, l’effusion sur vous de mes mérites, la tutelle de Marie, qui éloignera de vous les dangers.
« Et savez-vous, ma fille, quels heureux effets l’espérance produira en votre âme? Les voici. Elle vous excitera à faire pénitence de vos péchés, parce que vous en espérerez le pardon; elle vous donnera force et courage dans les dangers, parce qu’avec elle vous ne compterez point sur vous, mais sur le bras de Dieu, qui renverse tous les ennemis; elle vous délivrera des dangers, car Dieu n’abandonne jamais ceux qui se fient en lui. Voyez comme il délivra Daniel et Suzanne qui espéraient en lui. Elle vous fera triompher des tentations, parce que vous aurez la force de l’espérance et le désir de la voir se réaliser, ce qui vous fera lutter avec fermeté contre les tentations, et cette lutte ferme est toujours suivie de la victoire. Elle éclairera votre intelligence. Espérer en Dieu, c'est se rapprocher de lui; or, Dieu est lumière, et sa lumière répand le jour dans les ténèbres et montre la vérité. Elle gardera et sauvera la bonté de vos intentions. Vous n’espérerez que le bien; vous ne voudrez par conséquent jamais que le bien, et c'est ainsi encore, ma fille, que l’espérance sera pour vous une source de multiplicité de bonnes œuvres que vous n’auriez point opérées sans elle.
« Or, ma fille, l’espérance ne doit pas être seulement en vous quelques jours, quelques années, tant que vous jouissez des bénédictions de Dieu, tant que vous êtes en état de grâce, elle doit y être toujours.
« Vous devez espérer aussi bien dans la tentation que dans l’affliction, dans la sécheresse comme dans l’état de péché.
« Vous devez espérer dans la tentation. C'est alors, surtout, que votre espérance doit être forte; c'est elle qui doit être le bouclier avec lequel vous renverserez vos tentations. Or, vous n’espérez point, si vous vous procurez à vous-même des tentations; si vous ne les fuyez point, c'est là de la présomption. Vous n’espérez point, si vous ne considérez que votre fragilité et non la peine due à votre défaite dans la tentation, c'est de l’aveuglement. Vous n’espérez point, si dans la tentation vous ne priez pas, c'est vous mettre dans la certitude de succomber et de pécher. Espérez donc, ma fille, à l'heure de la tentation.
« Espérez dans l’affliction. Espérez, parce que Dieu n’abandonne jamais les malheureux; espérez, parce que Dieu mettra un terme à vos afflictions; espérez, parce que Dieu vous donnera une sécurité entière au milieu même de vos tribulations.
« Espérez dans la sécheresse de l'âme, dans la pauvreté, comme un serviteur espère dans la fortune de son maître, et espérez, comme ce serviteur, que Dieu vous donnera la nourriture dont vous avez besoin, le secours qui vous est indispensable pour vous soutenir, un abri pour vous couvrir, et vous ne serez point trompée dans votre espérance.
« Espérez quand vous êtes dans l’état de péché. Pourquoi, ma fille? Parce que Dieu est un médecin qui connaît la manière de guérir l’infirmité de votre âme, qui peut la guérir et le désire.
« Ce que je viens de vous dire, ma fille, vous fait comprendre la nécessité de l’espérance. Sans elle, vous ne pouvez obtenir le ciel, parce que Dieu ne veut le donner qu'à ceux qui l’espèrent. Ceux qui l’espèrent, en effet, seuls font ce qui est nécessaire pour l’obtenir, et nul ne l’obtiendra s’il ne l’a mérité.
« En qui peut et doit se trouver l’espérance? L’espérance n'est point dans le ciel où les anges et les élus jouissent de la vue de Dieu. S’ils le possèdent, ils n’en attendent plus la possession; par conséquent ils n’ont point l’espérance. L’espérance n'est point dans l’enfer. Les démons et les damnés savent qu'ils sont à jamais séparés de Dieu. Ils n’attendent donc point la jouissance de sa vue et de sa gloire; par conséquent ils n’ont point l’espérance. L’espérance était parmi les âmes qui attendaient ma venue, et le bonheur du ciel que je devais leur donner par la satisfaction de ma croix offerte à mon Père. L’espérance est dans le purgatoire, parmi les âmes qui n’ont point encore satisfait à la justice de Dieu, et qui attendent le moment où elles jouiront du bonheur. L’espérance est parmi les hommes tant qu’ils sont sur la terre. C'est, en effet, dans la vie que le ciel leur est montré comme une récompense, et qu'ils cherchent à l’obtenir par les actes de vertus qu'ils accomplissent.
« Ayez une ferme espérance en Dieu, ma fille, une ferme espérance en moi. Cette vertu est comme un trait qui me perce le cœur, non pour me faire souffrir, mais pour que j’en laisse sortir les flots de ma miséricorde sur l'âme qui espère en son Sauveur. Allez, ma fille, marchez dans cette belle voie de la sainte espérance, vous ne serez point trompée. »
LIVRE HUITIÈME, chapitre 9
Après m’avoir parlé ainsi, le Sauveur Jésus s’arrêta quelque temps et me regarda avec une expression de bonté qui me pénétra jusqu’au fond de mon âme. J’étais toujours à ses genoux. Je trouvais un charme inexprimable en ses paroles. Je craignis un instant qu’il ne continuât point à m’entretenir. Je désirais bien entendre encore sa parole. Il me semblait qu'il lisait en mon âme le désir que j’avais, et je lui dis : Seigneur, je désire encore que vous me parliez; mais que votre volonté soit faite et non la mienne.
« Ma fille, me dit-il, je veux vous entretenir encore et vous parler de la charité.
« La charité est triple, et vous pouvez la considérer dans son essence, qui est Dieu, dans sa personne, qui est le Saint-Esprit, et dans le don que Dieu en fait à l'homme, savoir : la vertu de charité.
« La charité est l’essence de Dieu; c'est ce qui constitue la Divinité; la charité c'est Dieu. La charité en Dieu n'est point un simple accident, c'est-à-dire quelque chose qui pourrait ne pas être en lui; la charité, c'est l’être même de Dieu.
« La charité est la personne du Saint-Esprit. La personne du Saint-Esprit, en effet, qui procède du Père et du Fils, est l’éternel amour du père pour le Fils et du Fils pour le Père. Le Saint-Esprit est le lien du Père et du Fils, et ce lien vient du père et du Fils; il est dans le Père et dans le Fils; il en est pourtant distinct, et ne fait qu’un néanmoins avec le Père et le Fils. Le Père est charité, le Fils est charité, le Saint-Esprit est charité. Je dis néanmoins que la charité est la personne du Saint-Esprit, qui procède du Père et du Fils, et qui unit, par la charité, qui est lui-même, la personne du Fils à la personne du Père.
« La charité comme vertu est le don que Dieu fait à l'homme du mouvement surnaturel de son cœur vers la Divinité, comme objet de son amour.
« C'est de la charité comme vertu que je veux vous entretenir.
« La charité, ma fille, remarquez-le bien, diffère de l’amour, de la bienveillance, de l’amitié et de l’affection. On confond souvent ces choses entre elles. Je veux que vous en ayez une idée claire et nette, afin que vous compreniez mieux la nature de la charité.
« L’amour est un nom générique qui désigne la propension naturelle vers une chose bonne ou mauvaise; c'est une passion de l’âme. Ce nom s’applique à la tendance, à la propension vers une chose dont on recherche le bien qui est en elle. Ainsi on aime une fleur, une habitation, un lieu. Cet amour vous pouvez l’appeler l’amour de désir.
« Mais quand on aime ainsi un objet ou une personne, et qu’on désire du bien à cet objet ou à cette personne, cet amour s’appelle bienveillance, parce qu’on veut du bien à ce qu’on aime.
« L’amitié renferme plus que la bienveillance. Il y a bienveillance quand on désire du bien à quelqu'un sans qu'il y ait réciprocité de sa part. L’amitié requiert cette réciprocité. L’amitié consiste à aimer et à être aimé, à aimer et à savoir qu'on est aimé. Il y a entre deux amis communication réciproque du cœur.
« La charité est l’amour de Dieu fondé sur la communication future de la béatitude. La charité ne s’adresse d’abord qu’à Dieu, elle n’a que Dieu pour objet; secondairement elle s’adresse aux hommes en qui on voit l’image de Dieu, et parce que Dieu l’a voulu comme condition de la communication de son bonheur.
« La charité est une vertu ou un don surnaturel intrinsèquement inhérent à l’âme, par lequel l'homme aime Dieu par-dessus tout, à cause de ses perfections, et le prochain en Dieu et pour Dieu.
« La charité est au dessus de toutes les autres vertus, à cause de sa nécessité, de ses œuvres, de sa durée et de sa dignité.
« Pour la nécessité, elle est évidente. Quand vous auriez tous les autres dons spirituels, si vous n’avez point la charité, ces dons ne vous servent de rien pour le salut; et avec la charité sans rien de plus, vous feriez sûrement votre salut.
« La foi elle-même, cette foi qui transporte les montagnes, ne vous servirait de rien sans la charité. Le martyre, s’il pouvait être enduré sans la charité, ne vous servirait de rien. La conversion du monde entier opérée par votre parole, sans la charité, ne vous servirait de rien.
« Il n'y a point de vertu sans la charité, de vertu véritable, vivante, opérante. La vertu, en effet, est un mouvement vers le bien. Or, le bien suprême c'est Dieu; pour tendre vers lui, il faut le connaître et l’aimer. On ne va point vers celui qu’on n’aime pas; on ne le cherche pas, on ne désire point jouir de sa présence, on ne s’empresse point de lui être agréable. La charité vous fait aimer Dieu, vous le fait désirer, vous porte à lui être agréable, afin qu'il se rapproche de vous, et vous de lui. La charité vous attache à lui, c'est là le caractère spécial du mouvement vers le bien. Comme il y a plusieurs vertus, il faut que chacune ait un mouvement particulier. La vertu de foi meut l’âme vers Dieu et la porte à affirmer son existence; la vertu d’espérance meut l’âme vers Dieu et la porte à attendre la jouissance de sa vue; la vertu de charité meut l’âme vers Dieu et la porte à s’attacher à lui. Le mouvement de la vertu de charité est la vie des deux mouvements donnés à l’âme par les vertus de foi et d’espérance. On peut avoir la foi et l’espérance sans la charité; mais cette foi et cette espérance sont sans couleur, sans force, sans action féconde et fructueuse.
Vous avez la foi, vous n’avez point la charité; cette foi tournera à votre ruine et à votre condamnation; cette foi n’est donc pas une vertu véritable, une vertu vivante, puisque toute vertu doit tourner à la gloire et à la béatification de celui qui la possède.
Vous avez l’espérance; mais quel est donc le fondement de cette vertu? Que pouvez-vous espérer, si vous n’aimez point Dieu? Vous attendez la vision de sa gloire? Mais Dieu ne l’accorde qu'à ceux qui l’aiment. Vous ne l’aimez pas, vous ne participerez point à la récompense qu'il donne à ses amis.
« La charité, ma fille, est la voie qui mène au ciel. Vous ne pourriez rentrer dans votre maison, si vous n’aviez point une voie que vous puissiez suivre; de même, sans la charité, vous ne pouvez point aller au ciel.
« Par conséquent, de toutes les vertus, la charité est la plus nécessaire, celle que vous devez le plus désirer, le plus conserver, le plus aussi chercher à augmenter.
« La charité est au dessus de toutes les autres vertus, à cause de l’excellence de ses œuvres.
« Toutes les œuvres produites par la charité sont bonnes; voilà pourquoi je suis venu en allumer le feu sur la terre, n’ayant qu’un seul désir, celui de voir le monde entier embrasé par ses flammes. Celui qui a la charité, qui aime Dieu, cherche à lui plaire, observe sa loi et ses commandements, n’agit que pour suivre en tout sa divine volonté.
« Celui qui a la charité opère par conséquent des œuvres de vertu, puisque la charité en est le fondement et comme le souffle qui les inspire. Enfin, celui qui a la charité, faisant le bien, évite le mal, afin que le bien qu'il opère se conserve et demeure, afin qu’aimant Dieu, il ne fasse rien qui puisse l’attrister ou lui déplaire.
« Estimez donc la charité qui vous obtiendra tant de mérites pour la vie qui ne passera jamais.
« La charité est de toutes les vertus celle qui dure le plus. La durée de la charité peut se considérer sous trois aspects principaux, et, sous ces trois aspects, on peut dire que la charité ne tombera jamais et qu'elle demeurera toujours. La charité dure toujours en ce sens qu'elle ne tombe jamais dans le péché mortel¨tant que la charité est dans une âme, cette âme a la vie, conserve la vie et fuit la mort, c'est-à-dire le péché.
« La charité dure toujours dans ceux qui sont confirmés en grâce comme dans les apôtres, parce que la grâce donne la charité, et qu’avec la confirmation dans la grâce on reçoit aussi la confirmation dans la charité.
« La charité dure toujours, même après cette vie. La foi et l’espérance finissent avec la vie; mais après la mort la charité est reçue dans le ciel avec les âmes, et la félicité de ces âmes consistera dans la conservation, et, bien mieux, dans la perfection de la charité.
« La charité est de toutes les vertus la plus précieuse, parce que c'est celle qui rapporte le plus à l’âme. La foi fait regarder Dieu; l’espérance le fait attendre; la charité le fait posséder. Or, vous le comprenez, la possession d’une chose quelconque est de beaucoup préférable à son regard ou à son attente. La charité est aussi de toutes les vertus la plus estimable, parce que la charité est la vertu qui rehausse le plus une âme. C'est elle qui élève l'âme jusqu'à Dieu, c'est elle qui l’unit à Dieu, c'est elle qui la couronne en lui.
« Voilà, ma fille, en quelques paroles, la nature de la charité. Quel est le sujet de la vertu de charité? En quelle proportion est-elle dans les âmes? Peut-elle croître, diminuer ou se perfectionner, ou bien reste-t-elle toujours dans le même état? Quelle est la perfection de la charité? Peut-on avoir sur la terre la perfection absolue de la charité? Vous ne vous êtes jamais demandé cela à vous-même. Il est pourtant bon et utile de réfléchir ainsi et de considérer la vie intérieure de l’âme. Sans cette considération, peu à peu on se relâche, on tombe dans l’engourdissement, on perd le bien surnaturel que l’on possède.
« Écoutez-moi avec attention. La charité, je vous l’ai déjà dit, ne finit point avec la vie. Elle continue dans le ciel. La charité n’existe pas dans l’enfer, séjour du désordre et de la haine éternelle contre Dieu. La charité sur la terre se trouve dans les âmes qui ont en elles la grâce.
« La charité réside principalement dans une des facultés de l’âme; cette faculté, c'est la volonté. C'est la volonté en effet, qui saisit Dieu et s’attache à lui dès qu'il lui est présenté par l’intelligence.
« Il y a des degrés dans la charité et dans le don de la vertu de charité que Dieu accorde aux hommes. Ce degré est plus ou moins grand, selon la volonté divine et selon les dispositions que Dieu découvre dans l’âme. Quand la vertu de charité lui est donnée, l'âme peut augmenter en elle l’intensité de sa charité. La charité augmente à mesure qu'on se rapproche de Dieu. La charité n’augmente pas d’une manière sensible par chaque acte de charité, mais chaque acte dispose à l’augmentation de la charité, parce que chacun de ces actes rend l'homme plus apte à agir de nouveau selon la charité. Celui qui est dans l’état de charité peut désirer de l’augmenter de plus en plus, et trouve toujours en lui une capacité qui n’est jamais remplie.
« Il y a trois degrés dans la charité qui vous montreront qu'elle est susceptible d’augmentation et de progrès.
« La charité telle qu'elle est donnée par la grâce de Dieu; la charité déposée dans l'âme, mais soutenue et fortifiée; et enfin la charité parfaite ou la charité que rien ne peut enlever d’une âme.
« Il y a trois sortes de perfections dans la charité : la perfection de la charité en Dieu, la perfection de la charité dans le ciel et la perfection de la charité sur la terre. »En Dieu; car il est parfait et Dieu est charité, par conséquent il y a en lui perfection dans la charité. Cette perfection divine de la charité qui est Dieu, n’appartient qu’à Dieu.
« Dans le ciel, la perfection de la charité consiste en ce que toutes les puissances de l'âme sont uniquement attachées à Dieu et ne peuvent tendre que vers lui.
« La perfection de la charité sur la terre est triple et renferme trois degrés. La charité est parfaite dans un homme qui se donne tout entier à l’étude de Dieu, à la recherche de Dieu et de ce qui est à Dieu, oubliant tout le reste et s’occupant à peine de ce qui est nécessaire pour l’entretien de sa vie. La charité est parfaite dans celui qui tient habituellement son cœur uni à Dieu, de telle manière qu'il ne veuille et ne désire rien qui soit contraire à l’amour de Dieu. La charité est parfaite dans celui qui tend vers Dieu, non seulement par l’accomplissement des commandements, mais encore par la pratique des conseils évangéliques.
« Telle est la perfection possible de la charité sur la terre; la perfection absolue de la charité ou le plus haut degré de charité qui puisse se concevoir n'est point possible sur la terre, parce qu'on peut toujours concevoir une charité plus parfaite dans celui qui a la charité parfaite.
« Je n’ai pas besoin d’insister longuement, ma fille, pour vous montrer que la charité peut diminuer et se perdre. Adam avait la charité, il la perdit par son péché. Les chrétiens, après leur baptême, ont la charité, un seul péché mortel suffit pour la leur faire perdre. En effet, ma fille, pécher mortellement, c'est se retirer et s’éloigner de Dieu, c'est se révolter contre lui, et l’éloignement et la révolte sont opposés à la charité, ils la ruinent et la font disparaître. Le péché mortel est la mort de la charité dans une âme; le péché véniel en est la diminution. Le péché véniel n'est qu’une petite offense, une légère révolte, mais néanmoins c'est une révolte et une offense; ces péchés, par conséquent, diminuent la charité; ils ne séparent pas tout à fait, ils n’éloignent pas complètement de Dieu, néanmoins ils commencent la séparation et l’éloignement.
« Fuyez donc, ma fille, non seulement le péché mortel, mais encore le péché véniel, qui est si préjudiciable aux âmes. Conservez précieusement la charité. Si vous avez la charité, vous le reconnaîtrez aux signes que je vais vous indiquer. Nul ne sait s’il est digne d'amour ou de haine, à moins que cela ne lui soit révélé. On peut néanmoins avoir une connaissance suffisante de l’état de sa conscience et de son âme quand on fait attention aux signes principaux qui témoignent de la possession de la charité.
« Si vous pensez à Dieu volontiers et avec plaisir, tranquillisez-vous, vous lui êtes unie par la charité. Là où est votre cœur, là est votre trésor, c'est-à-dire Dieu, et celui qui a Dieu pour trésor n’a rien à craindre.
« Si vous entendez parler de Dieu avec plaisir, si vous retenez les paroles bonnes et édifiantes que vous aurez entendues, tranquillisez-vous, vous lui êtes unie par la charité, vous n’avez rien à craindre.
« Si vous vous entretenez souvent avec Dieu, si vous lui parlez par la prière, tranquillisez-vous, vous lui êtes unie par la charité, vous n’avez rien à craindre.
« Si vous donnez volontiers pour Dieu ce qui vous appartient, ce dont vous pouvez disposer, tranquillisez-vous, vous lui êtes unie par la charité, vous n’avez rien à craindre.
« Si vous souffrez patiemment les douleurs de cette vie en vue de plaire à Dieu, tranquillisez-vous, vous lui êtes unie par la charité, vous n’avez rien à craindre.
« Si vous observez fidèlement les commandements de Dieu, tranquillisez-vous, vous lui êtes unie par la charité, vous n’avez rien à craindre.
« Si vous aimez tout ce que Dieu aime, ce qui lui est agréable, les œuvres de vertu; si vous détestez tout ce qu'il déteste, le crime et le vice, tranquillisez-vous, vous lui êtes unie par la charité, vous n’avez rien à craindre.
« Tels sont, ma fille, les signes divers auxquels vous reconnaîtrez que la charité est en vous. Si vous avez la charité, Dieu vous aime parce que vous lui êtes agréable, et vous êtes vraiment ainsi digne de son amour.
« Il ne suffit pas, ma fille, que vous sachiez ce que c'est que la charité et quel est le sujet de la charité, il faut que vous en connaissiez encore l’objet, afin que vous exerciez dignement la vertu de charité.
« La charité, dans son exercice, trouve quatre objets sur lesquels elle doit se porter : Dieu, votre âme, votre prochain et votre corps. Dieu, qui est au dessus de votre âme; votre âme, qui est ce qui vous touche le plus après Dieu; le prochain, qui est votre frère et votre semblable; enfin, votre corps, ce compagnon de votre exil et de votre pèlerinage ici-bas.
« Dieu, ma fille, est le premier objet de votre charité.
« Vous devez aimer Dieu par reconnaissance. C'est de lui que vos avez reçu tout ce qui est en vous, l'âme et le corps, la rédemption et la grâce. C'est lui qui vous facilite tous les moyens d’aller au ciel, et qui veut vous le donner et vous y montrer à découvert la splendeur de sa gloire.
« Vous devez aimer Dieu parce qu'il est infiniment aimable. Vous devez l’aimer à cause de sa sainteté, à cause de ses perfections : car on doit aimer et on aime tout ce qui est bon, tout ce qui est bien, tout ce qui est parfait. Or, est-il bien ou perfection supérieure à celle de Dieu?
« Vous devez l’aimer, non seulement parce qu'il est Dieu, mais parce qu'il est votre Dieu, c'est-à-dire votre Maître, votre Seigneur, c'est-à-dire parce qu'il s’est pour ainsi dire donné à vous et qu'il veut être votre possession, votre Dieu. Oui, Dieu vous appartient, car il est votre Père; Dieu vous appartient, car vous êtes son enfant. Eh bien! puisqu’il en est ainsi, aimez Dieu, aimez-le de tout votre cœur, de toute votre âme, de toutes vos forces, c'est-à-dire aimez-le autant que vous pouvez l’aimer, en lui consacrant votre intelligence, votre volonté, votre corps, tout ce qui est en vous. Aimez-le non seulement intérieurement, mais manifestez encore votre amour par des œuvres extérieures. Aimez Dieu toujours; aimez Dieu dans toutes les positions, dans tous les événements, dans tous les actes, dans tous les désirs de votre vie. Que votre vie ne soit qu'une seule chose, l’amour continuel de Dieu, plus grand que celui de vous-même, de vos parents, de vos amis et de toutes les choses du monde.
« C’est là un commandement formel qui est imposé à toute créature raisonnable et dont l’observation produit les plus grands biens, comme sa violation entraîne des malheurs considérables.
« La charité ou l’amour de Dieu produit les plus grands biens. En effet, elle efface la multitude des péchés qu'on peut avoir commis, et j’adresserai à tous les pécheurs qui auront imité Marie-Madeleine les paroles que je lui adressai à elle-même : Tous vos péchés vous sont remis parce que vous avez beaucoup aimé.
« La charité est la lumière de l’âme. Quand on aime quelqu'un, on cherche tous les moyens pour lui plaire et lui être agréable. Quand on aime Dieu, on cherche aussi à lui plaire et on en trouve facilement le moyen, parce qu’il se rapproche de celui qui l’aime. En se rapprochant de lui il l’éclaire, parce qu'il est la lumière éternelle, dont la clarté n’est comparable à aucune autre lumière.
« La charité est la sauvegarde de l’âme, non seulement en tant qu’elle préserve du mal, mais en tant qu'elle donne Dieu lui-même pour gardien. Dieu aime ceux qui l’aiment, il les garde, il les préserve de tout malheur, comme l'homme garde et préserve de tout mal la prunelle de son œil. Elle obtient le secours de Dieu dans les nécessités de la vie, elle soutient à l’heure de la mort. La charité, en effet, donne du courage dans toutes les situations pénibles, parce qu'elle fait tout endurer pour l’amour de Dieu; elle soutient à l’heure de la mort, car celui qui a la charité ne craint pas la mort, au contraire, il la désire, parce qu’après la mort il possédera Dieu, non par l’espérance, mais en réalité.
« La charité tourne tout ce qui est dans l'homme à son avantage et à son profit : le bien et la souffrance, la consolation et la tristesse, parce qu’elle rapporte tout à Dieu, et que cette relation sanctifie tout, et que tout acte sanctifié est un bien pour celui qui l’opère.
« La charité, enfin, donne ici-bas un avant-goût de la réalité du ciel. Elle élève au plus haut degré de la contemplation de Dieu les âmes qui la possèdent, et les tient ainsi ravies en Dieu, loin des biens méprisables de la terre, de ses plaisirs, de ses honneurs et de ses consolations.
« Tout, au contraire, s’élève contre celui qui n’aime pas Dieu. Le péché s’empare de son cœur et le fait ramper terre à terre; les contrariétés de la vie et ses diverses épreuves se tournent contre lui; le monde entier, selon l’expression du sage, combat pour Dieu et contre les insensés qui ne savent point s’attacher à Dieu et l’aimer.
« La vertu de charité est unique en elle-même, mais elle a plusieurs objets différents. Elle s’exerce sur Dieu, elle doit s’exercer aussi sur soi-même et sur le prochain, selon le précepte que j’en ai donné quand j’étais sur la terre : Aimez Dieu par-dessus tout et le prochain comme vous-même.
« Le chrétien doit aimer le prochain comme il s’aime lui-même. Dans le chrétien comme dans chaque individu, il y a deux choses : l’âme et le corps. Vous devez donc aimer en vous et votre âme et votre corps, et dans les autres, leur âme et leur corps. Voici l’ordre que vous devez suivre dans cet amour de vous-même et du prochain.
« D’abord, vous devez commencer par vous aimez vous-même, puisque l’amour que vous devez avoir pour le prochain doit être à l’exemple de celui que vous devez avoir pour vous. Vous devez aimer votre âme plus que celle de votre prochain, c'est-à-dire que vous devez aimer votre âme avant et de préférence à celle de votre prochain, mais vous devez aimer plus l’âme de votre prochain que votre corps, tout comme vous devez commencer par aimer votre corps avant celui de votre prochain.
« Pourquoi, ma fille, devez-vous plus aimer votre âme que celle de votre prochain ou devez-vous aimer votre âme avant celle de votre prochain? Cela se conçoit aisément. Vous aimez Dieu comme principe du bien, vous devez vous aimer vous-même en Dieu par charité pour obtenir société avec Dieu, qui sera votre bien. Cette future association de vous-même avec Dieu est la raison de l'amour que vous avez pour Dieu, amour qui sera la mesure de votre union à Dieu. Or, l’unité de participation à Dieu est préférable pour vous à l’union de plusieurs avec vous dans cette même participation, par conséquent vous devez chercher d’abord votre union à Dieu avant celle d’autrui. Vous avez la preuve de ce que je vous dis, ma fille, en ce qu'il vous est défendu de faire le plus petit péché pour délivrer qui que ce soit de son péché, parce que ce péché vous détournerait plus ou moins, selon sa malice, de la participation du souverain bien.
« Mais vous devez plus aimer l'âme que votre frère ou de votre prochain que votre propre corps. Ainsi, ma fille, vous seriez tenue d’exposer votre vie, c'est-à-dire la vie du corps, pour procurer le salut de l'âme d’une personne quelconque, si vous pouviez, en exposant votre vie, même en la sacrifiant, sauver l’âme de cette personne. Ce serait là, ma fille, la marque d’une charité parfaite, bien comprise et bien entendue. Vous n’êtes point tenue à cela par nécessité de charité, c'est-à-dire pour avoir la charité; mais la charité parfaite porte à ce sacrifice, tant à cause du bonheur que vous procurez à l'âme que vous sauvez, que de la gloire qui en revient à Dieu.
« Ce que je vous ai dit de la préférence que vous devez donner à votre âme dans votre amour doit vous faire comprendre la préférence que vous devez aussi donner à votre corps sur le corps de votre prochain.
« Vous devez aimer le prochain. Savez-vous quel est votre prochain? Votre prochain est tout être raisonnable de qui vous pouvez recevoir quelque bien en vue de la vie éternelle, ou à qui vous pouvez rendre quelque bien de cette sorte.
« Ainsi les anges comptent parmi votre prochain, parce qu'ils vous obtiennent des biens spirituels, parce qu'ils veuillent sur vous, parce que vous partagerez un jour leur bonheur et que vous serez véritablement leur proche. Les élus du ciel sont votre prochain; ils sont de la grande famille humaine à laquelle vous appartenez, et ils vous obtiennent de Dieu les secours qui vous sont nécessaires pour arriver au bonheur qu'ils possèdent eux-mêmes. Tous les justes de la terre sont votre prochain, non seulement parce qu'ils sont disposés à vous faire du bien, mais parce que vous pouvez leur en faire à votre tour, et vous devez aimer par charité les anges, les élus du ciel et les justes de la terre. Les âmes qui sont dans le purgatoire sont votre prochain, vous pouvez et devez prier pour elles, afin de les soulager dans leurs peines et d’obtenir leur délivrance.
« Les pécheurs sont aussi votre prochain, et vous devez les aimer par charité. Vous devez considérer deux choses en eux : leur personne et leur péché. Leur personne est susceptible de participer au bonheur du ciel, et vous devez aimer leur personne; mais le péché qui est en eux mérite votre haine et votre aversion. Ne confondez pas le péché avec le pécheur. Haïssez le péché comme Dieu le hait; mais aimez le pécheur comme Dieu l’aime dans sa miséricorde, puisqu’il ne veut point sa mort, mais sa conversion et sa vie.
« Si le précepte de la charité s’étend sur tous les hommes de la terre, sur les âmes du purgatoire et celles qui participent au bonheur du ciel, il ne s’étend point aux démons ni aux damnés. Les démons et les damnés ont tellement déformé leur nature que vous ne devez point les aimer, mais les haïr comme Dieu, qui les haïra éternellement. »
Le Sauveur Jésus me dit un autre jour : « Ma fille, si vous voulez bien accomplir le précepte de la charité, prenez-moi toujours pour modèle. Considérez de quel amour j’ai aimé les hommes, et vous verrez qu'il avait trois caractères bien distincts.
« Je les ai aimés gratuitement, c'est-à-dire sans avoir rien reçu d’eux et sans qu'ils m’aient aimé les premiers. Si vous n’aimez que ceux qui vous aiment, ma fille, vous n’aimeriez point votre prochain. J’ai aimé les hommes, non à cause du bien qu'ils m’avaient fait, mais uniquement pour leur faire du bien. C'est ainsi que vous devez aimer votre prochain, sans rien attendre de lui, et dans la disposition de lui faire toujours du bien si vous le pouvez. J’ai aimé les hommes, même mes plus grands ennemis, mes bourreaux, et, sur la croix, je demandai à mon Père leur pardon. Si vous avez des ennemis, si vous rencontrez des personnes qui vous persécutent, qui vous chagrinent, loin de les haïr, aimez-les encore plus que vos amis, ce sera le moyen de vous les concilier et de vous rendre plus agréable à Dieu.
« J’ai aimé les hommes avec discrétion. Je n’ai jamais aimé en eux le vice ou le péché. J’ai guéri le paralytique en lui disant : Tes péchés te sont remis. J’ai pardonné à la femme adultère en lui disant : Allez, ne péchez plus. J’ai pardonné à saint Pierre, et mon regard pénétra jusqu’au fond de son âme. J’ai pardonné à l’apôtre incrédule, et il se releva plein de foi en disant : Mon Seigneur et mon Dieu! et le pardon que je leur ai accordé était bien la preuve de mon amour pour eux. J’ai pardonné tous les péchés des hommes sur la croix; mais ce pardon n’était point l’approbation de ces fautes, c’en était la condamnation par l’éclat de ma miséricorde, puisqu’il a fallu la souffrance d’un Dieu pour effacer le péché. Ainsi, ma fille, il faut aimer le prochain, mais néanmoins condamner et haïr tout ce qu'il y a de répréhensible en lui, c'est-à-dire le vice et le péché.
« J’ai aimé les hommes d’un amour extrême et fructueux. Je les ai aimés d’un amour extrême, car j'ai quitté la splendeur des cieux, je me suis fait homme, je me suis humilié jusqu’à la mort de la croix. Je les ai aimés d’un amour fructueux, puisque mon amour leur a rendu la vie, leur a ouvert le ciel. Aimez ainsi le prochain, en vous dépouillant de votre volonté propre, en vous mortifiant, en vous sacrifiant pour lui, en travaillant autant que vous le pourrez à son salut; et ainsi vous aimerez véritablement votre prochain, car vous l’aimerez comme j’ai aimé moi-même les hommes.
« Aimez le prochain, ma fille; aimez-le en Dieu et pour Dieu, et en aimant le prochain vous aimerez Dieu, et ces deux amours en feront qu’un amour, l'amour de Dieu, bien que les objets et les actes de cet amour soient distincts, parce que votre amour se terminera toujours directement ou indirectement à Dieu.
« Vivez dans l'amour de Dieu, dans cet amour tel que je vous l’ai fait connaître, dans l’exercice de cette vertu que je dépose dans tous ceux qui reçoivent ma grâce.
« Si vous avez l’amour de Dieu, si vous vivez dans la charité, quand vous n’auriez d’autre toit que le ciel, d’autre nourriture que celle qui vous serait offerte par la charité publique, d’autres vêtements que des haillons, vous êtes plus riche que ceux qui possèdent des trésors immenses s’ils n’aiment pas Dieu.
« Si vous vivez dans la charité, si vous aimez Dieu, la charité rendra tout aimable en vous; elle attirera sur vous l’admiration des anges et des hommes, et répandra sur toutes vos actions la douceur et la suavité de son impression.
« Si vous vivez dans la charité, si vous avez l'amour de Dieu, vous serez pleine de force et d’énergie, vous deviendrez capable des plus grandes choses et rien ne pourra vous résister.
« Si vous vivez dans la charité, si vous avez l'amour de Dieu, votre âme généreuse se détachera de tout et sera prête aux plus grands sacrifices. Rien ne l’étonnera, rien ne l’ébranlera, rien ne l’épouvantera; vous traverseriez des armées rangées en bataille, votre âme, calme et tranquille, ne se sentirait point trembler ni craindre.
« Si vous vivez dans la charité, si vous aimez Dieu, vous déposerez vos peines en son sein, vous épancherez votre cœur dans le cœur de Dieu, seul objet digne de votre confiance, seul être capable de vous consoler, et vous éprouverez combien est doux et suave le service de Dieu au milieu des plus grandes tribulations.
« Si vous vivez dans la charité, si vous aimez Dieu, vous ne vous appartiendrez plus; Dieu sera votre maître, il règnera sur vous, il vous parlera, et vous lui obéirez sans pouvoir lui résister, parce que l'amour que vous aurez pour lui vous attirera vers lui par l’accomplissement de sa volonté.
« O amour! amour! amour! flamme de la charité, comment se fait-il que, désirant si fort de te communiquer, tu embrases si peu de cœurs? Le savez-vous, ma fille? Ah! c'est qu'il trouve l’entrée des âmes fermée et que ses traits s’émoussent sur des cœurs aussi durs que le roc. Priez Dieu qu'il dispose ces cœurs à recevoir et à conserver la grâce; il les ouvrira, il les ramollira, et avec la grâce, l'amour divin viendra habiter en eux. Le cœur d’un pécheur ressemble à une belle maison remplie de meubles vermoulus et gâtés, que la lumière du jour ne pénètre point, et qui éloigne par son infection insupportable ceux qui voudraient en approcher. Si l'amour divin pénètre dans ce cœur, il l’éclaire, il l’illumine, il remplace par des meubles précieux ceux qui y étaient avant, il répand enfin dans tout son intérieur un parfum dont l’odeur suave monte de la terre au ciel pour inviter le Dieu de charité à venir en prendre possession.
« Ma fille, resserrons de plus en plus les doux liens qui nous unissent, que rien ne soit capable de nous séparer, ni la vie, ni la mort, ni les hommes, ni les démons. Aimez-moi chaque jour davantage; moi, je ne vous aimerai pas demain plus que je ne vous aime aujourd'hui, mais je vous donnerai des marques plus sensibles de mon amour. Ouvrez votre âme à toutes les ardeurs du divin amour, et que ses flammes circulent avec votre sang dans vos veines. Offrez-vous comme victime, et que votre sacrifice soit consumé par le feu de l'amour divin. Aimez-moi comme je vous ai aimée quand j’étais sur la terre. Que de peines, que de fatigues, de souffrances vous m’avez coûtées! J’ai donné ma vie et mon sang pour vous sauver, et, non content d’être mort une fois pour vous, je suis toujours ici près de vous dans le sacrement de mon amour. Je demeure ici constamment avec mon corps, mon âme et ma divinité par amour pour vous; demeurez ici par la pensée par amour pour moi. Quand j’instituai ce sacrement, je connaissais déjà les outrages, les irrévérences, les sacrilèges et toutes les injures que je devais y recevoir, mais je sus me contenter du petit nombre d’âmes fidèles qui devaient m’y honorer et m’y témoigner leur amour. Soyez de ce nombre, ma fille. Dédommagez-moi par votre amour de l’indifférence et de l’insensibilité de tant de mauvais chrétiens. J'ai le droit et un droit tout spécial pour attendre cela de vous.
« O amour sacré, étendez-vous sur la terre, embrasez tous les cœurs! Qu'il embrase surtout votre coeur, ma fille. Qu'il soit pour vous le plus précieux de tous les biens. Qu'il soit la souveraine beauté de votre âme. Qu'il soit le soulagement, la consolation et le repos de votre cœur dans vos peines et vos afflictions.
« O puissance de l'amour divin sur les hommes! Ô puissance de l'amour divin sur Dieu! Il donne les hommes à Dieu, il fait mourir Dieu pour les hommes!
« Je suis mort par amour pour vous, ma fille, donnez-vous donc à votre Sauveur, à votre Dieu par amour pour lui. Répondez à mon amour par votre amour, vivez par amour pour moi, sacrifiez-vous par amour pour moi, mourez par amour pour moi, parce que j’ai vécu, j’ai souffert, je suis mort par amour pour vous. » Ainsi me parla le Sauveur Jésus, et mon âme fut toute pénétrée par l’ardeur de sa voix et la douceur de sa parole.

LIVRE HUITIÈME, chapitre 10
Le Sauveur Jésus m’a dit encore en m’entretenant sur la charité : « Ma fille, je vous ai fait connaître d’une manière générale les fruits de la vertu de charité, je veux vous les faire connaître en détail et en particulier. Les fruits principaux de la vertu de charité sont : la paix, la soumission à la volonté de Dieu, le détachement de soi-même, la pauvreté, la liberté entière et complète et le bon exemple.
« La paix, ma fille, est un fruit de la vertu de charité, mais elle n'est pas une vertu spéciale et distincte des autres vertus. La paix consiste dans la concorde de ses propres désirs ou celle de ses désirs avec les désirs d’autrui. Or, de quelque manière que vous l’envisagiez, la paix est un effet de la vertu de charité. La charité, en effet, opère en vous l'amour de Dieu de tout votre cœur, c'est-à-dire que vous rapportez toutes choses à Dieu, et se rapport à Dieu est l’union ou la concorde de tous vos désirs. La charité est encore la concorde de tous vos désirs avec les désirs d’autrui, en tout ce qui n'est pas contraire à la volonté de Dieu. La charité, en effet, opère en vous un amour du prochain égal à celui que vous avez pour vous-même, d’où il suit que la charité vous fait suivre la volonté d’autrui comme votre propre volonté.
« La paix n'est point une vertu spéciale, car tous les actes qui produisent la paix ne partent que du principe de la charité; les effets de la charité sont divers, mais ne réclament point chacun pour cela une cause diverse.
« Tout le monde veut la paix, cherche la paix, mais bien peu la possèdent, parce qu'il y en a peu qui aient la charité.
« La paix a trois aspects sous lesquels on peut la considérer : la paix temporelle, la paix spirituelle et la paix éternelle.
« La paix temporelle, c'est la paix dans la famille, dans les cités, dans les empires; elle vient de la charité parce que la charité est l’union des cœurs, et l’union des cœurs la paix des familles, et l’union des familles la paix des cités, et l’union des cités la paix des royaumes et des empires; car la charité c'est l’accord, l’entente entre deux hommes, entre plusieurs hommes, entre plusieurs peuples divers. Là où il n'y a point de charité il n'y a point de paix.
« La paix temporelle, c'est la paix ou le calme du corps, c'est la concorde entre l’esprit et la chair, c'est l’entente dans les diverses opinions.
« Le corps est en paix, il a le calme, quand il ne souffre pas, quand il n’a point de maladies; la charité lui conserve ce calme et cette paix, même dans la souffrance et la maladie, parce que la charité les fait aimer, et l’amour est le conservateur comme le producteur de la paix.
« La charité conserve la paix entre la chair et l’esprit, parce qu'elle dompte la chair et permet à l’esprit de demeurer uni à Dieu, et cette paix contribue au bien-être temporel.
« La charité conserve la paix entre des opinions diverses, car la paix ne consiste pas dans la concorde des opinions, mais dans la concorde de ce qui est bien et mène à la vie éternelle. La diversité d’opinion n'est point une attaque à la paix, c'est l’usage rationnel et raisonné de la liberté dans le mouvement actif de l’intelligence, et rien dans cet usage légitime ne peut combattre la paix. La charité même la maintient, parce qu'elle voit et interprète en bien ce mouvement actif de l’intelligence d'autrui.
« Si vous avez la charité, ma fille, vous aurez cette paix temporelle. Car si vous avez la charité, si vous m’aimez, vous vous tournerez vers moi dans les souffrances et les maladies de votre corps, dans l’affliction ou l’abattement de votre cœur, dans les contradictions ou les contrariétés de votre esprit; vous viendrez à moi sans effort me faire part de votre état avec la sincérité et la confiance d’un enfant. Vous viendrez me donner communication de vos peines les plus secrètes, les plus cachées, les plus intimes. Je vous recevrai avec affection, et dans la tendresse de ces épanchements vous vous trouverez déchargée du poids qui pourrait vous oppresser, et vous conserverez la paix et l’égalité de votre âme. Combien de personnes affligées, souffrantes et durement éprouvées, supporteraient leurs épreuves, leurs souffrances, leurs afflictions, si elles avaient la charité, sans perdre jamais la paix ni le calme de leur âme; mais sans la charité elles se troublent et rien ne peut les consoler. Elles me prendraient pour leur confident et trouveraient combien je mérite de l’être, parce que je les aimerais moi-même avec constance et fidélité, ne les abandonnant point alors que tous les autres les abandonnent ou se séparent d’elles, parce que je compatirais à leur douleur et que je les consolerais. Chacun a ses peines ici-bas. Si vous entretenez toujours un ami de vos afflictions, votre conversation lui deviendra importune et désagréable. Mais moi, ma fille, non seulement je vous écouterai, mais mon attention et ma constance vous feront tellement éprouver de consolation que vous oublierez même votre douleur, et que vos plaintes et vos épanchements ne seraient qu’une conversation pleine de félicité avec votre Sauveur et votre Dieu.
« Celui qui a la charité a la paix, parce qu'il sait de quelle manière il doit agir pour que la concorde soit en lui pour tout ce qui le concerne. Il a la paix, parce qu'il se hait lui-même, parce qu'il hait le monde, parce qu'il a confiance en Dieu.
« Il se hait lui-même, c'est-à-dire qu'il ne cherche point ses aises, ses commodités, ses satisfactions personnelles, et alors, malade, souffrant, pauvre ou malheureux, il est toujours calme et toujours en paix. Sa chair ne l’emporte point sur son esprit, il est calme et toujours en paix.
« Celui qui a la charité hait le monde et le méprise. Il sait que le monde passera et avec lui tout ce qui est dans le monde. Il ne s’offusque point de ses paroles, de ses jugements, de ses actes; il ne recherche ni son estime ni son affection, il ne considère que mon jugement, la connaissance que j’ai de lui, l’amitié que j’ai pour lui, et cela lui suffit, il est calme et toujours en paix.
« Celui qui a la charité met toute sa confiance en Dieu. La charité véritable ne peux exister avec la défiance, et sans la défiance on ne craint, on ne redoute rien, on est calme et toujours en paix. Celui qu a la charité met toute sa confiance en Dieu. Il attend par conséquent et supporte toutes les épreuves qu’il lui envoie; il n’a d’autre volonté que sa volonté, et cette conformité de volonté, c'est la paix.
« Ayez donc la charité et vous aurez la paix temporelle, vous aurez aussi la paix spirituelle.
« Vous aurez la paix spirituelle, c'est-à-dire la paix avec Dieu. La paix avec Dieu, c'est la concorde entre vous et Dieu, et c'est la charité qui vous la donne. Si vous avec la charité, vous accomplissez toujours la volonté de Dieu, vous observez fidèlement sa loi et ses commandements. Cet accomplissement vous tient nécessairement dans le calme et la paix du cœur, car il vous unit à Dieu, vous fait vivre de sa vie. Il y a donc conformité de volonté, conformité de vie, vous avez la paix véritable, la paix spirituelle.
« Quelque grand pécheur qu’ait été celui qui a la charité, par cela seul qu'il a la charité, il a paix; car le souvenir des fautes passées éloigne du péché, et là où il n'y a point de péché, là règne la paix. Le souvenir des fautes passées est le souvenir d’un état qui n'est plus et il donne une meilleure appréciation de l’état présent. Le souvenir des fautes passées que la charité a effacées rappelle le pardon qu'on en a reçu, les démarches faites pour obtenir ce pardon, l’aveu qu'on en a fait au ministre sacré, la douleur et le repentir du coeur, le don de soi-même à Dieu pour toujours, et le souvenir du pardon, c'est la paix spirituelle. Le souvenir du pardon, c'est la paix, parce qu'il rappelle l’œuvre de Dieu sur le pécheur et les paroles qu'il lui a adressées : Courage, mon fils, ne craignez point. Venez à moi; si vous êtes faible, je suis fort; si vous ne pouvez rien, je puis tout; si vous êtes pauvre, je suis riche, je vous donnerai tout ce qui vous sera nécessaire. Venez puiser à mes pieds les eaux salutaires de la grâce, ces eaux pleines de force qui jaillissent jusqu’à la vie éternelle. Venez, je serai votre bonheur, le bonheur ne se trouve qu’avec moi. Vous l’avez cherché loin de moi et il vous a échappé; vous avez voulu puiser dans les citernes bourbeuses du monde, de Satan et des passions, et vous n'y avez trouvé que des eaux empoisonnées qui ne désaltèrent point et consument plus que le feu. Venez à moi, ayez confiance en moi, écoutez ma voix, acceptez mon amour et vous aurez le bonheur autant qu'il peut être sur la terre. Le souvenir de ces paroles raffermit l’âme, la tient tournée vers Dieu et lui donne la paix.
« La charité donne la paix éternelle, c'est-à-dire le ciel. La paix éternelle, comme l’indique son nom, ne passera jamais; elle est la récompense de l'âme qui a la charité quand Dieu l’appelle à lui. La paix du ciel, c'est la paix. La charité donne la paix au ciel et sur la terre. Soyez donc toujours en état de charité; vivez aujourd'hui dans la charité et vous aurez aujourd'hui aussi la paix sur la terre, pour l’avoir demain au ciel.
« Il y a une grande ressemblance entre la paix et la soumission à la volonté de Dieu. Celui qui a la paix est soumis à la volonté de Dieu, et celui qui est soumis à la volonté de Dieu a la paix. On ne peut pas être soumis à la volonté de Dieu sans avoir la charité, comme on ne peut sans elle non plus avoir la paix. La soumission à la volonté de Dieu est donc produite aussi par la charité. La soumission à la volonté de Dieu n'est pourtant pas la même chose que la paix. La paix est un état de l’âme donné par la charité, état de calme et de tranquillité. La soumission à la volonté de Dieu est plus qu'un état, c'est une inclination active, opérante, une inclination qui fait que l'homme accomplit tout ce que Dieu veut, supporte tout ce que Dieu veut qu'il supporte, et n’attend que ce que Dieu voudra lui donner. Telle est la soumission à la volonté de Dieu.
« Or, la soumission à la volonté de Dieu est l'hommage le plus glorieux que l'homme puisse offrir à Dieu et l’acte le plus avantageux à l'homme.
« C'est l'hommage le plus glorieux que l'homme puisse offrir à Dieu. Qu’est-ce, en effet, que se soumettre à Dieu? C'est accomplir sa volonté, c'est faire ce qu'il désire, lui accorder ce qu'il demande, c'est reconnaître qu'il est maître souverain, que rien n'est au dessus de lui; c'est adorer ses desseins, c'est lui plaire en tout, c'est lui marquer son dévouement, lui donner des preuves convaincantes de l'amour qu'on a pour lui; c'est, en un mot, donner à Dieu tout ce que l’on a, car c'est se dépouiller complètement et agir en tout selon le bon plaisir de Dieu.
« Et l'homme peut-il rien faire de plus agréable à Dieu? Non, ma fille. La soumission à la volonté de Dieu est préférable pour Dieu à tous les jeûnes, à toutes les austérités, à tous les sacrifices, à l’apostolat le plus fécond et le plus fructueux, s'il ne demande rien de ces choses. Que diriez-vous d’un serviteur qui travaillerait toujours à accroître le bien-être et les possessions de son maître, qui vanterait partout sa bonté, qui lui prodiguerait toutes sortes de richesses, mais qui refuserait de lui obéir ou d’accomplir sa volonté? Que diriez-vous de ce serviteur si son maître ne pouvait lui adresser aucun reproche, aucune remontrance sans qu'il se révoltât, sans qu'il lui témoignât son mécontentement? Ne préfèreriez-vous pas un serviteur moins entreprenant, mais plus obéissant, plus soumis, plus modéré, plus respectueux? Eh bien, ma fille, il en est ainsi de Dieu.
« Dieu vous demande la soumission pleine et entière à sa sainte volonté. Si vous l’aimez, vous la lui accorderez. Vous recevrez les maladies, la souffrance, les épreuves qu'il vous imposera en lui disant : Mon Dieu, que votre volonté soit faite et non la mienne. Vous ne vous plaindrez jamais, vous recevrez tout comme des avertissements de Dieu, comme des témoignages de l’amitié de Dieu, qui veut vous purifier davantage par ses épreuves pour que vous soyez plus unie à lui.
« Ce n'est pas à dire pour cela qu'on ne puisse jamais se plaindre. Non, ma fille; mais il faut se plaindre à Dieu comme le prophète. Cette plainte n'est pas une plainte véritable, c'est un cri de prière, une demande, un appel du secours de Dieu, prière et demande dictées par la soumission.
« Combien est agréable à Dieu une âme ainsi soumises à sa sainte volonté.
« La soumission à la volonté de Dieu est aussi l’acte le plus avantageux pour l'homme. Pourquoi, ma fille? Parce que suivre cette volonté, c'est marcher dans le droit chemin, c'est marcher dans le bien, c'est suivre la direction de Dieu, et Dieu ne conduit que dans le bien et la vérité. Que cherchez-vous sur la terre? La vérité. Que désirez-vous? La possession de la vérité. Vous la trouverez dans la soumission à la volonté de Dieu, parce que vous trouverez Dieu, et que Dieu est la vérité. Dieu a fait les hommes pour les ramener à lui. Il les y ramène par plusieurs voies différentes tracées par sa volonté. Pour aller à lui, il faut suivre ses voies, et pour suivre ses voies, il faut être soumis à sa volonté. Celui qui se soumet à sa volonté, va vers Dieu, arrive au ciel. La soumission à la volonté de Dieu est donc l’acte le plus avantageux pour l'homme.
« Donc, ma fille, que Dieu vous envoie des peines, des souffrances, des tribulations, des maladies, des infirmités, des contradictions, des affronts, qu'il vous éprouve de quelque manière que ce soit, soyez soumise à sa volonté. Que cette pensée : Dieu le veut! vous aide et vous soutienne. Ayez confiance dans cette volonté, et marchez, vous arriverez au ciel.
« La soumission à la volonté de Dieu n'est pas un bien seulement pour le ciel, elle est encore un bien pour le temps. Cette soumission fait disparaître les contradictions, les maux, les souffrances et les épreuves, parce qu'elle les fait aimer en tant que venant de Dieu et de sa volonté. La soumission à la volonté de Dieu fait disparaître toute haine ou toute aversion autre que celle du péché. Une âme soumise à la volonté de Dieu s’écrie : O mon âme! Pourquoi aurais-tu de l’aversion pour cette chose? Est-il rien que tu doives détester sur la terre, si ce n'est le péché et les défauts qui sont en toi? Mon Dieu, que votre volonté se fasse en toutes choses, et donnez-moi une haine continuelle pour le péché et mes propres imperfections.
« Si la charité produit la soumission, elle produit aussi le détachement. Dieu, ma fille, suffit à celui qui l’aime et celui qui l’aime est seul véritablement détaché de tout.
« Dieu suffit à celui qui l’aime. Aimer Dieu, ma fille, c'est le posséder; posséder Dieu, c'est posséder le souverain bien, le bien qui ne passe pas, le bien qui demeurera éternellement. Or, celui qui a ce bien ne peut s’attacher aux biens périssables, ni à la vie, ni aux créatures, ni aux richesses; il en est complètement séparé, et ne s’en sert que selon les desseins de Dieu. Il ne tient à rien; aussi plus facilement s’élève-t-il vers Dieu et n'est-il point retenu comme par des liens qui l’attachent à la terre. Il accepte tout comme venant de Dieu, il se sert de tout pour aller à lui, mais ne tient pas plus à une chose qu’à une autre; il n’a qu’un seul attachement, l’attachement pour Dieu.
« Il n'est point attaché à la vie, il en ferait volontiers le sacrifice, et à l’heure fixée par le Seigneur, il remettra avec calme son esprit entre les mains de Dieu.
« Il n'est point attaché aux créatures, ni à cause de leur beauté qui est passagère et transitoire, ni à cause de leurs qualités qui pâlissent devant celles de Dieu, ni à cause des liens du sang, parce qu'il a un Père dans le ciel.
« Il n'est point attaché aux richesses, la rouille et les voleurs les enlèvent; il n'est point attaché à la gloire, aux honneurs de la vie, sa gloire consiste à servir Dieu. « Dieu est tout pour lui, et rien ne le séparera de Dieu; ni la vie, ni la mort, ni les créatures raisonnables, ni les créatures sans raison, ni le monde, ni Satan, parce que l'amour de Dieu est plus puissant que toutes les puissances, et que rien ne peut lui résister.
« Je vous recommande, ma fille, ce détachement universel de toutes les choses créées et le détachement de vous-même. C'est là la véritable marque de la charité. On reconnaît l’arbre à ses fruits, et la charité produit le détachement.
« Enfin, ma fille, la charité vous donnera la vraie liberté, la liberté des enfants de Dieu. Je n’entends point parler de cette liberté qui est le désordre, de cette liberté qui fait le mal. Non, cela n'est point la liberté. La liberté consiste à se soumettre volontairement à la loi. Or, celui qui aime véritablement Dieu, l’aimant toujours, fera toujours aussi ce qu'il lui commande, ce qu'il demande de lui; il se soumettra sans peine, parce qu'il l’aime et qu'il ne veut lui déplaire en rien. La volonté de Dieu sera la règle de sa conduite, et il suivra cette règle parce qu'il aime Dieu. Il fera tout ce qu’il voudra, et sera libre par conséquent, parce qu'il ne voudra que ce que Dieu veut. Tenez à cette liberté qui est la seule liberté vraie, conservez-la toujours en vous en y conservant l’amour de Dieu. Croissez dans l’amour de Dieu, et votre liberté grandira, parce que vous deviendrez de plus en plus portée à ne faire que ce que Dieu veut. »