SAINT IGNACE DE LOYOLA
Conseils extrêmement utiles pour les arpenteur du Chemin : le discernement des esprits. Comment reconnaître les inspirations qui nous viennent de la lumière et celles qui nous viennent de nos obscurités. Au fur et à mesure de notre croissance, notre liberté, notre créativité et notre volonté doivent s'armer de cette fondamentale vertu : le discernement.
Vous trouverez des conseils similaires chez Sainte Catherine ou Marie Lataste.
Ce passage est extraits des "Exercices Spirituels" qui sont une retraite de plusieurs jours. Cette retraite et ces exercices furent pour moi un virage décisif sur ma route.Gratitude.
LES EXERCICES SPIRITUELS
Discernement des esprits
Règles propres à faire discerner et sentir, en quelque manière, les divers mouvements excités dans l'âme, soit par le bon esprit, afin de les recevoir; soit par le mauvais, afin de les repousser. Elles conviennent particulièrement à la première semaine (de la retraite).
Première règle. A l'égard des personnes qui vont de péché mortel en péché mortel, la conduite ordinaire de l'ennemi est de leur proposer des plaisirs apparents, leur occupant l'imagination de jouissances et de voluptés sensuelles, afin de les retenir et de les plonger plus avant dans leurs vices et dans leurs péchés. Le bon esprit, au contraire, agit en elles d'une manière opposée: il aiguillonne et mord leur conscience, en leur faisant sentir les reproches de la raison.
Deuxième règle. Dans les personnes qui travaillent courageusement à se purifier de leurs péchés, et vont de bien en mieux dans le service de Dieu, notre Seigneur, le bon et le mauvais esprit opèrent en sens inverse de la règle précédente. Car c'est le propre du mauvais esprit de leur causer de la tristesse et des tourments de conscience, d'élever devant elles des obstacles, de les troubler par des raisonnements faux, afin d'arrêter leur progrès dans le chemin de la vertu; au contraire, c'est le propre du bon esprit de leur donner du courage et des forces, de les consoler, de leur faire répandre des larmes, de leur envoyer de bonnes inspirations, et de les établir dans le calme, leur facilitant la voie et levant devant elles tous les obstacles, afin qu'elles avancent de plus en plus dans le bien.
Troisième règle. De la consolation spirituelle. J'appelle consolation un mouvement intérieur qui est excité dans l'âme, par lequel elle commence à s'enflammer dans l'amour de son Créateur et Seigneur, et en vient à ne savoir plus aimer aucun objet créé sur la terre pour lui-même, mais uniquement dans le Créateur de toutes choses. La consolation fait encore répandre des larmes, qui portent à l'amour de son Seigneur l'âme touchée du regret de ses péchés, ou de la Passion de Jésus-Christ, notre Seigneur, ou de toute autre considération qui se rapporte directement à son service et à sa louange. Enfin, j'appelle consolation toute augmentation d'espérance, de foi et de charité, et toute joie intérieure qui appelle et attire l'âme aux choses célestes et au soin de son salut, la tranquillisant et la pacifiant dans son Créateur et Seigneur.
Quatrième règle. De la désolation spirituelle. J'appelle désolation le contraire de ce qui a été dit dans la troisième règle: les ténèbres et le trouble de l'âme, l'inclination aux choses basses et terrestres, les diverses agitations et tentations qui la portent à la défiance, et la laissent sans espérance et sans amour, triste, tiède, paresseuse, et comme séparée de son Créateur et Seigneur. Car comme la consolation est opposée à la désolation, les pensées que produit l'une sont nécessairement contraires à celles qui naissent de l'autre.
Cinquième règle. Il importe, au temps de la désolation, de ne faire aucun changement, mais de demeurer ferme et constant dans ses résolutions, et dans la détermination où l'on était avant la désolation, ou au temps même de la consolation. Car, comme c'est ordinairement le bon esprit qui nous guide et nous conseille dans la consolation, ainsi, dans la désolation, est-ce le mauvais esprit, sous l'inspiration duquel nous ne pouvons prendre un chemin qui nous conduise à une bonne fin.
Sixième règle. Quoique nous ne devions jamais changer nos résolutions au temps de la désolation, il est cependant très utile de nous changer courageusement nous-mêmes, je veux dire notre manière d'agir, et de la diriger tout entière contre les attaques de la désolation. Ainsi, il convient de donner plus de temps à la prière, de méditer avec plus d'attention, d'examiner plus sérieusement notre conscience, et de nous adonner davantage aux exercices convenables de pénitence.
Septième règle. Que celui qui est dans la désolation considère comment le Seigneur, pour l'éprouver, le laisse à ses puissances naturelles, afin qu'il résiste, comme de lui-même, aux diverses agitations et tentations de l'ennemi; car il le peut avec le secours divin qui lui reste toujours, quoiqu'il ne le sente pas, parce que le Seigneur lui a soustrait cette ferveur sensible, cet amour ardent, cette grâce puissante, ne lui laissant que la grâce ordinaire, mais suffisante pour le salut éternel.
Huitième règle. Que celui qui est dans la désolation travaille à se conserver dans la patience, vertu directement opposée aux attaques qui lui surviennent; et qu'il espère qu'il sera bientôt consolé, pourvu qu'il emploie comme nous l'avons dit dans la sixième règle, les moyens nécessaires pour vaincre la désolation.
Neuvième règle. La désolation a trois causes principales. Premièrement, elle peut être un châtiment. Notre tiédeur, notre paresse, notre négligence dans nos exercices de piété, éloignent de nous la consolation spirituelle. Secondement, elle est une épreuve. Dieu veut éprouver ce que nous pouvons, et jusqu'à quel point nous sommes capables de nous avancer dans son service et de travailler à sa gloire, privés de ces consolations abondantes et de ces faveurs spéciales. Troisièmement, elle est une leçon. Dieu veut nous donner la connaissance certaine, l'intelligence pratique et le sentiment intime qu'il ne dépend pas de nous de faire naître ou de conserver dans nos coeurs une dévotion tendre, un amour intense accompagné de larmes, ni aucune sorte de consolation spirituelle; mais que tout est un don et une grâce de sa divine bonté; il veut nous apprendre à ne pas placer trop haut notre demeure, en permettant à notre esprit de s'élever et de se laisser aller à quelque mouvement d'orgueil ou de vaine gloire, nous attribuant à nous-mêmes les sentiments de la dévotion et les autres effets de la consolation spirituelle.
Dixième règle. Que celui qui est dans la consolation pense comment il se comportera au temps de la désolation, et qu'il fasse dès lors provision de courage pour le moment de l'épreuve.
Onzième règle. Qu'il s'efforce aussi de s'humilier et de s'abaisser autant qu'il lui est possible, pensant de combien peu de chose il est capable au temps de la désolation, lorsqu'il est privé de la grâce sensible ou de la consolation. Au contraire, celui qui est dans la désolation se rappellera qu'il peut beaucoup avec la grâce, qu'elle lui suffit pour résister à tous ses ennemis, pourvu qu'il s'appuie sur le secours de son Créateur et Seigneur.
Douzième règle. C'est le propre de l'ennemi de faiblir, de perdre courage et de prendre la fuite avec ses tentations, quand la personne qui s'exerce aux choses spirituelles montre beaucoup de fermeté contre le tentateur, et fait diamétralement le contraire de ce qui lui est suggéré. Au contraire, si la personne qui est tentée commence à craindre et à supporter l'attaque avec moins de courage, il n'est pas de bête féroce sur la terre dont la cruauté égale la malice infernale avec laquelle cet ennemi de la nature humaine s'attache à poursuivre ses perfides desseins.
Treizième règle. Sa conduite est encore celle d'un séducteur: il demande le secret et ne redoute rien tant que d'être découvert. Quand l'ennemi de la nature humaine veut tromper une âme juste par ses ruses et ses artifices, il désire, il veut qu'elle l'écoute et qu'elle garde le secret. Mais si cette âme découvre tout à un confesseur éclairé, ou à une autre personne spirituelle qui connaisse les tromperies et les ruses de l'ennemi, il en reçoit un grand déplaisir; car il sait que toute sa malice demeurera impuissante, du moment où ses tentatives seront découvertes et mises au grand jour.
Quatorzième règle. Enfin, il imite un capitaine qui veut emporter une place où il espère faire un riche butin. Il asseoit son camp, il considère les forces et la disposition de cette place, et il l'attaque du côté le plus faible. Il en est ainsi de l'ennemi de la nature humaine. Il rôde sans cesse autour de nous; il examine de toutes parts chacune de nos vertus théologales, cardinales et morales, et, lorsqu'il a découvert en nous l'endroit le plus faible et le moins pourvu des armes du salut, c'est par là qu'il nous attaque et qu'il tâche de remporter sur nous une pleine victoire.
Autres règles
Qui traitent plus à fond la même matière du discernement des esprits. Elles conviennent surtout à la seconde semaine (de la retraite).
Première règle. C'est le propre de Dieu et de ses Anges, lorsqu'ils agissent dans une âme, d'en bannir le trouble et la tristesse que l'ennemi s'efforce d'y introduire et d'y répandre la véritable allégresse et la vraie joie spirituelle. Au contraire, c'est le propre de l'ennemi de combattre cette joie et cette consolation intérieure par des raisons apparentes, des subtilités et de continuelles illusions.
Deuxième règle. Il appartient à Dieu seul de donner de la consolation à l'âme sans cause précédente, parce qu'il n'appartient qu'au Créateur d'entrer dans l'âme, d'en sortir, et d'y exciter des mouvements intérieurs qui l'attirent tout entière à l'amour de sa divine Majesté. Je dis sans cause, c'est-à-dire sans aucun sentiment précédent ou connaissance préalable d'aucun objet qui ait pu faire naître cette consolation au moyen des actes de l'entendement et de la volonté.
Troisième règle. Lorsqu'une cause a précédé la consolation, le bon et le mauvais Ange peuvent également en être l'auteur; mais leur fin est bien différente. Le bon Ange a toujours en vue le profit de l'âme qu'il désire voir croître en grâce et monter de vertu en vertu. Le mauvais Ange, au contraire, veut toujours arrêter ses progrès dans le bien pour l'attirer enfin à ses intentions coupables et perverses.
Quatrième règle. C'est le propre de l'Ange mauvais, lorsqu'il se transforme en Ange de lumière, d'entrer d'abord dans les sentiments de l'âme pieuse, et de finir par lui inspirer les siens propres. Ainsi, il commence par suggérer à cette âme des pensées bonnes et saintes, conformes à ses dispositions vertueuses; mais bientôt, peu à peu, il tâche de l'attirer dans ses pièges secrets et de la faire consentir à ses coupables desseins.
Cinquième règle. Nous devons examiner avec grand soin la suite et la marche de nos pensées. Si le commencement, le milieu et la fin, tout en elles est bon et tendant purement au bien, c'est une preuve qu'elles viennent du bon Ange; mais si, dans la suite des pensées qui nous sont suggérées, il finit par s'y rencontrer quelque chose de mauvais ou de dissipant, ou de moins bon que ce que nous nous étions proposé de faire, ou si ces pensées affaiblissent notre âme, l'inquiètent, la troublent, en lui ôtant la paix, la tranquillité et le repos dont elle jouissait d'abord, c'est une marque évidente qu'elles procèdent du mauvais esprit, ennemi de notre avancement et de notre salut éternel.
Sixième règle. Quand l'ennemi de la nature humaine aura été découvert et reconnu par la fin pernicieuse à laquelle il nous porte, il sera utile à la personne qui aura été tentée de reprendre aussitôt la suite des bonnes pensées qu'il lui a suggérées, d'en examiner le principe, et de voir comment, peu à peu, il a tâché de la faire déchoir de la suavité et de la joie spirituelle dans laquelle elle était, jusqu'à l'amener à sa fin dépravée. L'expérience qu'elle acquerra par cette recherche et cette observation lui fournira les moyens de se mettre en garde dans la suite contre les artifices ordinaires de l'ennemi.
Septième règle. Le bon Ange a coutume de toucher doucement, légèrement et suavement l'âme de ceux qui font chaque jour des progrès dans la vertu; c'est, pour ainsi dire, une goutte d'eau qui pénètre une éponge. Le mauvais Ange, au contraire, la touche durement, avec bruit et agitation, comme l'eau qui tombe sur la pierre. Quant à ceux qui vont de mal en pis, les mêmes esprits agissent sur eux d'une manière tout opposée. La cause de cette diversité est dans la disposition même de l'âme, qui est contraire ou semblable à la leur. Si elle est contraire, ils entrent avec bruit et commotion; on sent facilement leur présence. Si elle est semblable, ils entrent paisiblement et en silence, comme dans une maison qui leur appartient et dont la porte leur est ouverte.
Huitième règle. Lorsque la consolation spirituelle est sans cause qui l'ait précédée, il est certain qu'elle est à l'abri de toute illusion, puisque, comme nous l'avons dit dans la seconde de ces règles, elle ne peut venir que de Dieu, notre Seigneur. Cependant la personne qui reçoit cette consolation doit apporter beaucoup d'attention et de vigilance à distinguer le temps même de la consolation du temps qui la suit immédiatement. Dans ce second temps, où l'âme est encore toute fervente, et comme pénétrée des restes précieux de la consolation passée, elle forme de son propre raisonnement, par une suite de ses habitudes naturelles et en conséquence de ses conceptions et de ses jugements, sous l'inspiration du bon ou du mauvais esprit, des résolutions et des décisions qu'elle n'a pas reçues immédiatement de Dieu, notre Seigneur, et que, par conséquent, il est nécessaire de bien examiner avant de leur accorder une entière créance et de les mettre à exécution.
Sur les scrupules
Règles utiles pour la connaissance et le discernement des scrupules et des insinuations trompeuses de notre ennemi.
Première règle. On nomme assez communément scrupule un jugement libre et volontaire par lequel nous prononçons qu'une action est péché lorsqu'elle ne l'est pas; par exemple, lorsqu'il arrive à quelqu'un de juger qu'il a péché en mettant le pied par hasard sur deux brins de paille en forme de croix. Or ceci est plutôt, à proprement parler un jugement erroné qu'un scrupule.
Deuxième règle. Mais après avoir marché sur cette croix, ou après avoir fait, dit ou pensé une chose quelconque, il me vient du dehors la pensée que j'ai péché; d'un autre côté, il me semble intérieurement que je n'ai pas péché. J'éprouve en cela du trouble, en tant que je doute et ne doute pas: or c'est là à proprement parler un scrupule et une tentation que l'ennemi fait naître en moi.
Troisième règle. Il faut abhorrer la première sorte de scrupule, dont il est question dans la première règle, parce qu'elle n'est qu'erreur. Quant à la seconde, indiquée dans la seconde règle, elle est très utile, durant quelque temps, à l'âme qui s'adonne aux exercices spirituels; car elle sert grandement à la rendre plus nette et plus pure, en la séparant entièrement de toute apparence de péché, selon cette parole de saint Grégoire: C'est le propre des bonnes âmes de reconnaître une faute là où il n'y a pas de faute.
Quatrième règle. L'ennemi considère attentivement si une âme est peu scrupuleuse, ou si elle est timorée. Si elle est timorée, il tâche de la rendre délicate à l'extrême pour la jeter plus facilement dans le trouble et l'abattre. Il voit, par exemple, qu'elle ne consent ni au péché mortel, ni au péché véniel, ni à rien de ce qui a l'ombre de péché délibéré; il tâchera, puisqu'il ne peut la faire tomber dans l'apparence même d'une faute, de lui faire juger qu'il y a péché là ou il n'y a pas de péché, comme dans une parole ou une pensée sans importance. Au contraire, si l'âme est peu scrupuleuse, l'ennemi s'efforcera de la rendre moins scrupuleuse encore. Par exemple, si jusqu'ici elle ne faisait aucun cas des péchés véniels, il tâchera qu'elle fasse peu de cas des péchés mortels: et si elle faisait encore quelque cas des péchés mortels, il la portera à y faire beaucoup moins d'attention ou à les mépriser entièrement.
Cinquième règle. L'âme qui désire avancer dans la vie spirituelle doit toujours procéder d'une manière contraire à celle de l'ennemi. S'il veut la rendre peu délicate, qu'elle tâche de se rendre délicate et timorée; mais si l'ennemi s'efforce de la rendre timorée à l'excès pour la pousser à bout, qu'elle tâche de se consolider dans un sage milieu pour y demeurer entièrement en repos.
Sixième règle. Lorsqu'une âme pieuse désire dire ou faire quelque chose qui ne s'écarte, ni des usages de l'Église, ni des traditions de nos pères, et qu'elle croit propre à procurer la gloire de Dieu, notre Seigneur, s'il lui vient du dehors une pensée ou une tentation de ne pas dire ou faire cette chose, sous prétexte de vaine gloire ou d'autre défaut, qu'elle élève son entendement à son Créateur et Seigneur; et si elle voit que cette parole ou cette action tend au service de Dieu, ou du moins ne lui est pas contraire, qu'elle fasse ce qui est diamétralement opposé à ce que lui suggère la tentation, répondant à l'ennemi avec saint Bernard: Ce n'est pas pour toi que j'ai commencé, ce n'est pas pour toi que je cesserai.