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Édith Stein

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Édith Stein fut philosophe (assistante d’Edmund Husserl, le père de la phénoménologie) avant d’avoir une révélation en 1922 à la lecture du Livre de la vie de Thérèse d’Avila, qui la fit se convertir au catholicisme. Ses écrits et sa vie nous donnent des outils pour mieux appréhender le chemin de la foi, souvent nommé le « chemin obscure » par les Carmélites, où il est écrit que pour que notre âme puisse arriver dans les bras du Bien-aimé, elle doit cheminer en aveugle, notre entendement plongé dans la nuit, où seule la lampe du coeur peut éclairer notre chemin, alimenté par les huile de la confiance et de la foi.
Elle entra au Carmel en 1933. Juive, elle voulu rester solidaire de ses frères et meurt au camp d’Auchwitz en 1942.

Les extraits ci-dessous sont issus de l’ouvrage « La Puissance da la Croix » lui-même étant un florilège de différents textes et oeuvres d’Edith Stein.



INTRODUCTION


Un jour assistant à la prière des « Heures », la sainte entre soudain dans un profond recueillement et elle voit son âme sous la forme d’un clair miroir, parfaitement lumineux et transparent, au centre duquel se trouve le Christ, se réfléchissant dans toutes les parties de son âme, tandis que son âme entre en union avec le Christ d’une manière « impossible à expliquer ». Il lui est révélé que l’âme est un miroir pur, quand elle est dans la vérité, tandis qu’elle n’est plus qu’un miroir terni, obscurci, quand entre en elle le mensonge du péché, et dieu alors ne s’y réfléchi plus. Il peut arriver pire. Si l’âme ne retient pas toutes les vérités divines, mais fait un choix parmi elles, comme le font les hérétiques, elle n’est plus qu’un miroir brisé.
À la même époque, Dieu lui fait comprendre, comme elle l’écrit, « une vérité qui est la consommation de  toutes les vérités ». La « Vérité elle-même » lui dit : « Ce que je fais pour toi n’est pas rien, c’est même l’une des choses dont tu m’es le plus redevable ; car tout le malheur du monde vient de ne pas connaître clairement les vérités de l’Écriture, dont pas un accent ne passera… ». Cette parole la marque profondément ; elle confesse à ce sujet : « J’en suis resté pleine d’un immense courage et vraiment prête à accomplir de toutes mes forces la moindre parcelle des divines Écritures » (Vie, ch. 40). Toute sa vie durant la sainte n’a rien tant craint que l’illusion, l’erreur, la confiance en ses propres lumières. Sans cesse elle cherche la s sécurité de la vérité dans l’obéissance à la parole de Dieu et dans l’humilité dont elle aimait à dire : « Il m’est d’avis que l’humilité n’est rien d’autre que la vérité ». Pascal s’est plaint que les hommes croient devoir admirer en Sainte Thérèse ses lumières et ses discours, alors qu’il faudrai aimer en elle, comme Dieu l’a fait, son humilité : « Ce qui plaît à Dieu est sa profonde humilité dans ses révélations ; ce qui plaît aux hommes sont ses lumières. Et ainsi on se tue d’imiter ses discours pensant imiter son état…., alors qu’il faut aimer e que Dieu aime… son humilité. »


I. DANS LA MAIN DU SEIGNEUR

Il m’est d’avis que l’humilité n’est rien d’autre que la vérité.

« Que rien ne te trouble,
Que rien ne t’effraie,
Tout passe,
Dieu ne change pas.
La patience obtient tout ;
Celui qui a Dieu ne manque de rien :
Dieu seul suffit. »
Sainte Thérèse.

Il n’y a toujours, au fond, qu’une petite et simple vérité que je puisse dire : comment l’on peut commencer à vivre en tenant la main du Seigneur.

Ce que nous pourrons faire est bien peu de chose en proportion de ce qui est fait pour nous. Mais ce peu-là, nous avons à le faire. Il s’agit avant tout de prier avec persévérance pour parvenir à suivre sans résistance le droit chemin et l’impulsion de la grâce lorsqu’elle se fait pressante. Celui qui va ainsi de l‘avant, s’armant à la fois de patience et de persévérance n’aura pas à désespérer de ses efforts. Il s’agit simplement de ne pas imposer de délai au Seigneur.

La question de choisir un ordre, une association libre ou  encore la vie de totale solitude au service de Dieu, ne trouve pas de solution universelle, mais une réponse personnelle. La multiplicité des ordres, congrégations et libres associations n’est ni un accident, ni le fruit d’un égarement : elle exprime la diversité des desseins et la diversité des hommes. De même qu’une personne ne peut être utile en tout, de même une association ou un type d’organisation ne peut tout offrir. Un seul corps mais de nombreux membres, un seul esprit mais des dons multiples ! Où est la place d’un individu, voilà bien la question de la vocation et c’est maintenant pour toi la plus importante après ton épreuve. La question de la vocation ne se résoudra pas uniquement dans l’examen de conscience ou dans la revue des différentes voies possibles. La solution doit s’obtenir par la prière — tu le sais — et dans beaucoup de cas être recherchée sur le chemin de l’obéissance. Ce conseil, je l’ai déjà donné plus d’une fois et ceux qui l’ont suivi sont bel et bien parvenus à la tranquillité et à la clarté.

À l’époque de ma conversion, juste avant qu’elle se produisît et même longtemps après, je pensais que mener une vie religieuse signifiait renoncer à tout ce qui est terrestre pour ne vivre qu’en pensant aux choses divines. Mais peu à peu j’ai appris et compris qu’en ce monde c’est bien autre chose qui est exigé de nous et que, même dans la vie la plus contemplative, le lien avec le monde ne doit pas être rompu. Je vais jusqu’à croire que plus on est « attiré » en Dieu, plus on doit en ce sens « sortir de soi », c’est-à-dire s’offrir au monde, pour y porter la vie divine.
Il importe seulement que l’on puisse effectivement disposer d’un coin tranquille où pouvoir fréquenter Dieu, comme si vraiment rien autre n’existait, et ce quotidiennement : pour cela le meilleur moment me semble être le lever du jour, avant de se mettre au travail. Je crois, de plus, que c’est à ce moment-là que nous recevons notre mission particulière pour cette journée précise sans rien choisir par nous-même ; et que finalement nous parvenons à nous considérer comme rien d’autre qu’un instrument ; nous voyons ainsi dans les forces avec lesquelles il nous faut spécialement travailler — comme, par exemple, en ce qui nous concerne, l’intelligence — quelque chose dont nous n’usons pas nous-même mais dont Dieu use en nous.

Je crois que vous aiderez autrui pour le mieux si vous ne vous cassez pas la tête à vous demander comment faire : vous y parviendrez d’autant mieux que vous serez spontané et joyeux.

Ma vie se renouvelle chaque matin et fini chaque soir ; c’est pourquoi je ne nourris pas de desseins, ni ne trace de plan au-delà de la journée. Ce qui signifie que, s’il entre dans l’activité quotidienne de faire des prévisions sans lesquelles un travail scolaire par exemple serait impensable, « l’inquiétude » pour le jour à venir n’a pour autant aucune raison d’être.

Saint Pierre est liens m’est une fête particulièrement chère, non pour la simple commémoration, mais parce qu’elle signifie la libération des chaînes par la main de l’ange. Que de chaînes sont déjà ainsi tombées et quelle félicité quand les dernières tomberont. Jusque-là nous devons continuer à vivre avec celles qui nous incombent ; et plus nous le ferons en silence moins nous les sentirons. Il ne s’agit pas de se substituer aux anges dans leur métier.

Je n’ai pas recours à des moyens particuliers pour allonger mon temps de travail. Je fais ce que je peux. Les possibilités s’accroissent manifestement avec la foule des besoins. Mais si rien d‘urgent n’est en jeu, les forces cesses plus tôt. Le ciel s’entend surement en économie. Donc ce qui vous arrive passé neuf heures n’a évidemment plus rien d’essentiel. Si dans la pratique rien ne réponde parfaitement aux lois de la raison, c’est que nous ne sommes pas de purs esprit. Il n’y a aucun sens à se rebeller là contre.

On ne peut que s’efforcer de vivre la vie qu’on s’est choisie d’une manière toujours plus fidèle et pure, afin d’en faire une offrande acceptable pour tous ceux à qui l’on est lié.

Je ne suis qu’un instrument dans les mains du Seigneur. Celui qui vient à moi, je voudrais le conduire à lui.

Il me paraît bien plus grand de voir s’accomplir quelque chose que l’on a longtemps demandé dans la prière, que d’être exaucé immédiatement.

Mes méditations ne sont pas de hautes envolées spirituelles mais sont le plus souvent fort simples et modestes. L’essentiel en est le remerciement pour la place qui m’est offerte sur la patrie terrestre, étape vers la patrie éternelle.

La conviction qu’un peu de notre paix et de notre silence s’écoule dans le monde et soutient ceux qui sont encore en pèlerinage peut seule me faire oublier que j’ai été appelée dans cette merveilleuse retraite avant tant de gens plus dignes que moi. Vous ne pouvez pas savoir combien cela me confond quand quelqu’un parle de notre « vie de sacrifice ». La vie de sacrifice, je l’ai vécue tant que j’étais au-dehors. À présent je suis allégée de tous mes fardeaux et je dispose en abondance de tout ce qui naguère me manquait. Bien sûr il y a des soeurs parmi nous qui se voient quotidiennement appelées à de grands sacrifices. Et je m’attend bien à ce qu’un jour j’éprouve ma vocation à la Croix plus fortement que maintenant où le Seigneur me traite encore une fois comme un petit enfant.

La question de savoir comment je me suis habituée à la solitude ne manque pas de me faire sourire. J’ai été la plus grande partie de ma vie bien plus seule qu’ici. Rien ne me manque de ce qui se trouve au-dehors et j’ai tout ce qui me manquait, si bien que je ne peux qu’être reconnaissante de cette immense grâce imméritée de la vocation.

Quelle incommensurable trésor que l’Écriture Sainte !

Je suis revenue depuis plusieurs semaines au travail philosophique ; je m’attelle à une grosse tâche pour laquelle il me manque beaucoup, vraiment beaucoup de ce qui serait nécessaire. Si je ne  pouvais compter sur la bénédiction attachée à la sainte obéissance et croire que le Seigneur peut réaliser ses desseins au moyen d’un instrument tout à fait faible et incapable, si tel est son bon plaisir, eh bien je devrais abandonner la course. Ainsi je fais de mon mieux et je ne manque pas de laisser mon courage se raffermir devant le tabernacle lorsqu’il vient à être ébranlé par l’érudition d’autres personnes.

D’ordinaire c’est une bien plus grande Croix qui nous échoit lorsque nous voulons nous débarrasser de l’ancienne.

Je viens de recevoir ce texte d’Ambroise : « Dieu fait tout en temps voulu. Jamais ce qu’il fait n’est en dehors du  temps, mais toujours absolument au moment propice — et tout advient pour moi au bon moment.

La pensée que la miséricorde de Dieu pourrait se limiter aux frontière de l’Église visible m’a toujours été étrangère. Dieu est la vérité. Qui cherche la vérité, cherche Dieu, qu’il en soit conscient ou non.

Ce que nous croyons parfois comprendre de notre histoire n’est jamais qu’un reflet fugace de ce qu’est le mystère de Dieu et le restera jusqu’au jour où tout sera manifesté. Ma grande joie, c’est l’espoir de l’illumination à venir. La foi en une histoire cachée doit aussi et toujours nous fortifier, surtout si ce qui nous est donné à voir au-dehors (nous concernant, nous ou autrui) devait nous ravir tout courage.

Je pense que dans tous les cas c’est un chemin très sûr que de faire tout son possible pour se vider de tout et servir de réceptacle à la grâce divine.


II. LA QUESTION DE L’ÊTRE

Mon être s’écoule limité d’instant en instant, exposé au péril possible du néant. À ce fait indéniable correspond cet autre fait tout aussi indéniable que, malgré cet écoulement, je suis, d’instant en instant je persiste dans mon être, et que je renferme dans mon être qui s’en va un être permanent.
Je me sais soutenue et j’en éprouve paix et assurance : non pas celle de l’homme sûr de lui, qui se campe sur la terre ferme de ses propres forces mais la douce et bienheureuse assurance de l’enfant que porte un bras vigoureux ; une assurance toute aussi fondée si on la considère objectivement : l’enfant serait-il « raisonnable » s’il vivait perpétuellement dans la peur que sa mère le laisse tomber ?

Dans mon être, je découvre un autre être qui n’est pas mien mais qui est soutien et fond de mon être, lequel ne trouve en lui-même ni fond ni soutien. Il y a deux chemins par lesquels je peux parvenir à reconnaître dans ce fond de mon être, que je rencontre en moi-même, l’être éternel. L’un est celui de la foi : lorsque Dieu se manifeste comme celui qui est, celui qui crée et maintient, et lorsque le rédempteur dit : « Celui qui croit au Fils possède la vie éternelle »,  tout cela constituant des réponses on ne peut plus limpides à l’énigme de mon propre être. Et quand il parle par la bouche du prophète qu’il veille sur moi plus fidèlement que père et mère, qu’il est l’amour même, combien me paraît « raisonnable » ma confiance en ce bras qui me soutien, et combien sottes toutes les peurs de chute dans le néant — pourvu que je ne m’arrache pas moi-même à ce bas protecteur.

L'essence la plus profonde de l’amour, c’est le don total de soi. Dieu est l’amour, s’offre à ses créatures qu’il a créées pour l’amour.

Mais aimer c’est vivre dans la plus haute perfection : celle de l’être qui se donne à l’infini sans connaître le moindre déclin, fécondité sans limites.

Le coeur est proprement le centre de la vie. Nous désignons par là, bien sûr, l’organe aux battements duquel est liée la vie du corps, mais nous entendons aussi familièrement sous ce terme le fin fond de l’âme, manifestement parce que le coeur est au plus haut point intéressé à ce qui se passe au plus profond de l’âme, et parce que la connexion du corps et de l’âme n’est nulle part plus directement sensible.
Au plus profond, l’âme en son essence est béance vers les profondeurs. Lorsque le vit en ces lieux — sur le terrain de son être, où il a précisément sa demeure et sa place — il entre’aperçoit quelque chose du sens même de son être et sent sa force ramassée par-delà toutes ses composantes isolées. Et s’il peut vivre à partir de là, sa vie sera pleine et il atteindra la cime de son être. Les valeurs qui seront accueillies et qui parviendront jusqu’à cette profondeur ne resteront pas seulement un acquis de l’ordre de la mémoire mais pourront passer jusque « dans la chair et le sang ». Ainsi se créera dans l’âme cette source de forces qui prodigue la vie. Il est sans doute aussi possible que quelque chose d’étranger à l’être s’introduise dans l’âme, qui rongera sa vie et la mettra en danger de mort si elle ne rassemble toutes ses forces pour rejeter ce corps étranger.

La conscience, révélant combien les actes s’enracinent au plus profond de l’âme, noue le moi — malgré sa libre mobilité — en le réenracinant dans les profondeurs : la voix des profondeurs le rappelle toujours là où est son lieu propre pour qu’il réponde de son activité et se convainque des résultats de ses actes, car les actes laissent leur empreinte dans l’âme qui devient autre après cela. L’âme est une chose en soi, qu’en tant que telle Dieu a placé dans le monde. Et ce quelque chose a sa substance particulière qui marque de son sceau propre toute la vie dans laquelle elle se déploie : voilà pourquoi lorsque deux être font la même chose, ce n’est jamais tout à fait la même chose. Ce qu’elle est et comment elle est, l’âme le ressent au fond d’elle-même ; d’une sombre et indicible manière qui lui indique le mystère de son être, mais sans le lui révéler. Elle porte en outre dans son être la détermination de ce qu’elle doit devenir, au travers de ce qu’elle reçoit et de ce qu’elle fait. Elle sent si ce qu’elle s’approprie est ou n’est pas compatible avec son être propre et donc profitable ou non ; et si ce qu’elle fait va dans le sens de son être ou pas ; et à cela correspond la « disposition » dans laquelle elle se trouve après chaque contact et chaque confrontation avec le monde.

Or c’est là ce que les maîtres de la vie intérieure ont de tout temps éprouvé : happés au plus profond d’eux-mêmes par une force plus grande que celle du monde extérieur tout entier, ils ont éprouvé là l’éclosion d’une vie nouvelle, puissante, plus élevée, une vie surnaturelle, divine. « ..Si tu cherches vraiment un haut lieu, un lieu saint, alors offre-toi, au plus profond de toi, à être le temps de Dieu, car le temple de Dieu est saint et vous êtes ce temple. » « Tu veux prier dans le temple ? Prie en toi-même. Mais en premier lieu tu dois être le temple de Dieu, parce que c’est dans son temple qu’il écoute celui qui prie. » « …Fais-moi revenir de mes erreurs : sois mon guide et je reviendrai en moi et en toi. » La grâce mystique offre l’expérience de ce que la foi enseigne : l’inhabitation de Dieu dans notre âme. Celui qui conduit par la vérité de la foi, cherche Dieu, se mettra en route précisément vers ce à quoi aspire l’être touché par la grâce mystique : se retirer du monde des sens et des « images » de la mémoire, même par delà l’usage naturel de l’entendement et de la volonté dans la solitude et de le vide de son for intérieur, pour y demeurer dansa foi obscure, le regard amoureux d l’esprit tendu humblement vers ce Dieu secret, présent et caché.
C’est là que dans la paix profonde — parce qu’à la source même de son repos — il persévérera, jusqu’à ce qu’il plaise au Seigneur de changer la foi en vision.

La pensée spéculative façonne de fins concepts mais ceux-ci n’ont pas davantage prise sur l’incompréhensible, ils ne font que le repousser au loin, dans le champ propre au conceptuel. Le chemin de la foi, mieux que ne le fait le chemin de la connaissance philosophique, nous donne un Dieu de toute intimité, un Dieu d’amour et de miséricorde et une certitude comme nulle connaissance naturelle ne le peut. Cependant même le chemin de la foi est un chemin obscure. Dieu lui-même doit accorder son langage sur celui des hommes pour nous rendre l’incompréhensible moins obscure.

La foi est une « lumière obscure ». Elle nous donne quelque chose à comprendre, mais juste pour nous indiquer quelque chose qui nous reste incompréhensible. Parce que le fond ultime de tout être  est un fond insondable, tout ce qui lui apparaît vient s’abîmer dans la lumière obscure de la foi et du mystère.

Accueillir Dieu signifie se tourner vers Dieu dans la foi ou « croire en direction de Dieu », tendre vers Dieu. La foi ainsi est « saisissement » de Dieu. Mais saisir suppose un être saisi : on ne peut croire sans la grâce. Et la grâce est participation à la vie divine. Lorsque nous nous ouvrons à la grâce, lorsque nous accueillons la foi, nous connaissons en nous le début de la vie éternelle.

La foi est plus proche de la sagesse divine que toute la science philosophique et même théologique. Mais comme il nous est difficile de marcher dans l’obscurité, tout rayon de lumière qui, préfigurant la clarté future, tombe dans notre nuit, nous est, pour ne pas nous fourvoyer, d’une aide inestimable.

Ce qui ne se trouvait pas dans mon projet était inscrit dans le projet de Dieu. Plus j’expérimente une telle chose, plus vive se fait en moi cette conviction dictée par la foi que, dans la perspective de Dieu, il n’y a pas de hasard, que ma vie entière est déjà tracée jusque dans ses détails par les plans de la providence divine, et qu’elle constitue aux yeux du Dieu omniscient un enchainement logique parfait. De ce fait je commence à e réjouir, à l’avance,  de la lumière de gloire qui me révélera, à moi aussi, la logique de cet enchainement.

Dieu n’exige rien de l’homme sans lui donner simultanément la force correspondante. La foi nous enseigne cela et l’expérience d’une vie emplie de foi le confirme. Le fin fond de l’âme est une réceptacle où l’esprit de Dieu (ou la vie de grâce) se déverse lorsqu’elle s’ouvre à lui en vertu même de sa liberté. Et l’esprit de Dieu est sens et force. Il donne à l’âme une vie nouvelle et la rend capable de réalisations qui par nature la dépassent, en lui indiquant en même temps une direction pour son action. Au fond, toute exigence pleine de sens pénétrant l’âme avec une force qui engage est une parole de Dieu. Il n’y a aucun sens qui n’ait son origine éternelle dans le Logos divin. Et celui qui s’empresse d’accueillir une telle parole, dispose aussitôt de la force divine pour s’y conformer. Or chaque accroissement en grâce est renforcement de l’être spirituel et ouvre l’âme à une intelligence plus riche, plus fine de la parole divine, du sens surnaturel qui s’exprime dans tout ce qui advient et qui se fait aussi percevoir comme « voix intérieure » au fond d’elle-même. C’est pourquoi l’âme qui s’appuie sur l’esprit de Dieu ou sur la vie de grâce en vertu de sa liberté, est capable d’une transformation et d’un renouvellement complet.

En son sens ultime l’amour est don de l’être propre et unification avec la personne aimée. C’est l’esprit divin, la vie divine, l’amour divin — et tou cela ne signifie rien d’autre que Dieu lui-même — qu’apprend à connaître celui qui accomplit la volonté de Dieu. Car en faisant ce que Dieu exige de lui, en se donnant totalement, il voit la vie divine devenir sa propre vie intérieure : s’il entre en lui-même, il trouve Dieu en lui.

Dieu — et lui seul — contient chaque esprit créé dans sa totalité : celui qui se consacre à lui atteint, dans l’union amour avec lui, à la plus haute perfection de l’être, à cet amour qui est à la fois connaissance, abandon du coeur et action libre.
Être donné à Dieu, c’est à la foi être donné à soi-même — le soi aimé de Dieu — et être donné à la création entière, c’est-à-dire à tous les êtres spirituels unis en Dieu.

Que s’ouvre l’âme en son tréfonds au fleuve de la vie divine et la voilà façonnée, et à travers elle tout le corps, à l’image de Fils de Dieu ; et s’échappent d’elle « les fleuves d’eaux vives » qui agissent pour changer la face de la terre selon l’Esprit. L’esprit humain qui est pénétré par l’esprit divin aperçoit dans la lumière divine la forme primitive de la création sous les écorces qui la défigurent et peut ainsi travailler à son rétablissement.


III. PRIÈRE ET MÉDITATION

N’est-il vraiment pas possible de se ménager une heure dans la matinée pendant laquelle on pourrait non pas se disperser mais se rassembler, non pas se consumer mais gagner des forces pour affronter la journée toute entière ?
Mais certes il en va de bien plus que de cette unique heure. Il s’agit de vivre d’une heure jusqu’à l’autre de telle manière que l’on puisse sans cesse revenir à soi. Il n’est pus possible de « se laisser aller » ne serait-ce que de temps à autre.
On devient toujours plus attentionné à ce qui plaît ou déplaît au Seigneur. Si auparavant l’on était, en gros, plutôt content de soi, cela va à présent changer. On trouvera de nombreuses choses mauvaises et on les changera dans la mesure où l’on peut. Et l’on trouvera plus d’une chose ni belle ni bonne mais non moins difficile à changer. On se sentira alors tout petit et plein d’humilité, patient et indulgent pour la paille dans l’oeil d’autrui puisqu’on a déjà fort à faire avec la poutre qui est dans le sien ; c’est alors qu’on apprend enfin à se supporter aussi soi-même dans l’inexorable présence divine et à s’en remettre à la miséricorde de Dieu qui peut venir à bout de tout ce qui défi nos propres forces.

Dans l’enfance de la vie spirituelle, lorsque  nous venons juste de nous en remettre à la conduite de Dieu, nous sentons la main qui nous guide, forte et ferme ; ce que nous devons faire, ce que nous devons abandonner nous apparaît clair comme le jour. Mais il n’en va pas ainsi très longtemps. Celui qui appartient au Christ doit revivre la vie du Seigneur de bout en bout. Atteindre la maturité d’un Christ dans la force de l’âge, s’engager sur le chemin de la Croix vers Gethsémani et l’interrogation inquiète : comment donc tout pourra-t-il trouver sa place en un seul jour. Quand ferai-je ceci, quand ferai-je cela ? Et comment dois-je m’attaquer à ceci ou cela ? On voudrai se lever brusquement et partir vivement à l’assaut. Il s’agit alors de reprendre les rêves en se disant : doucement ! Il s’agit maintenant avant tout que vraiment rien ne m’atteigne. Ma première heure appartient au Seigneur. Le labeur du jour dont il me charge, voilà à quoi je veux m’atteler et il me donnera la force de le mener à bien. Aussi je veux m’avancer vers l’autel de Dieu. Il ne s’agit pas ici de moi ni de mes toutes petites affaires mais du grand sacrifice expiatoire.

Et il y a tant à faire encore jusqu’au soir. Ne doit-on pas repartir aussitôt à l’assaut ? Non pas ! Pas avant d’avoir recouvré, au moins un court instant, le calme.

Lorsqu’on pousse l’entendement à ses extrémités, on prend conscience de ses frontières : il se radicalise pour trouver l’ultime et la plus haute vérité, et découvre que tout notre savoir n’est que rapiéçage. Alors tout orgueil se brise et deux éventualités se présentent : ou bien il tourne au désespoir ou bien il ploie, dans la vénération de l’impénétrable vérité, accueillant humblement dans la foi ce que l’activité naturelle de l’entendement ne peut s’approprier. Alors, dans la lumière de la vérité éternelle, l’intellect reçoit le juste point de vue sur son propre intellect. Il voit que les plus hautes et ultimes vérités ne sont pas dévoilées par l’intelligence humaine et que dans les questions le plus essentielles — et, partant, dans la vie pratique — un simple être humain peut, sur le fond d’une illumination qui vient d’en haut, l’emporter sur le plus grand érudit. D’un autre côté, il reconnaît le domaine légitime de l’activité naturelle de l’entendement et s’acquitte de sa tâche, ainsi que le paysan cultive son champ, comme quelque chose d’utile et bon mais qui, comme tout ouvrage humain, reste toujours confiné en d’étroites frontières.
Comme tout travail honorable exécuté suivant la volonté de Dieu et à sa gloire, celui-ci peut devenir un instrument de sanctification. C’est ainsi que je me représentant saint Thomas : comme un homme qui avait reçu de Dieu de prodigieuses dispositions intellectuelles, comme un pécule à faire fructifier ; il allait son chemin en silence, discret, se plongeant dans ses problèmes quand on le laissait en paix, mais empressé, prêt à se casser la tête et à prodiguer ses conseils lorsqu’on lui soumettait des questions difficiles. C’est ainsi que, justement parce qu’il ne le voulut jamais, il est devenu l’un des guide les plus grand.

Chacun doit se connaître ou apprendre à se connaître pour savoir où et comment trouver le calme. Le mieux, si cela est possible, est de retourner pour un court laps de temps devant le tabernacle pour y décharger tous ses soucis. Et lorsqu’on ne peut gagner le repos extérieur d’aucune façon, si l’on ne dispose d’aucun lieu pour se retirer, si des obligations impérieuses empêchent un moment de silence, il s’agit de s’enfermer en soi-même, un instant, de se couper de tout et de se réfugier auprès du Seigneur. Il est là, présent, capable en un seul instant de nous donner ce dont nous avons besoin.

Ce sera une tâche essentielle pour chacune d’entre nous de trouver comment, selon les dispositions et les circonstances de vie du moment, s’établir un ordre du jour — et de l’année — pour mieux préparer la voie au Seigneur. La répartition extérieure ainsi faite sera forcément différente pour chacun et devra au fil du temps s’adapter d’une manière souple aux circonstances. La situation spirituelle également sera différente pour chaque homme. Les moyens appropriés pour établir la relation avec l’Éternel, pour la garder vivante ou la renouveler — comme la méditation, les lectures spirituelles, la participation à la liturgie, aux dévotions populaires, etc. — ne sont pas les mêmes pour tout le monde et ne sont pas tous au même moment féconds. La méditation par exemple ne peut pas être pratiquée par tous, ni toujours de la même manière. Il est important de choisir le plus efficace du moment et de le mettre à profit.

Personne n’a plongé plus profondément dans l’âme humaine que ces êtres qui avaient embrassé le monde entier d’un coeur ardent et qui, délivré de la séduction par la main puissante de Dieu, pénétrèrent en eux-même jusqu’au tréfonds. Aux côtés de Thérèse d’Avila, on trouve en première ligne, en profonde parenté avec elle — elle-même le percevait ainsi —  saint Augustin. Pour ces maîtres de la connaissance et de la représentation de soi, les profondeurs secrètes de l’âme se sont dévoilées : pour eux, les phénomènes, la surface mouvante de la vie spirituelle, n’étaient pas les seuls faits indéniables mais aussi bien les forces qui agissent dans une âme très consciente, et même l’essence de l’âme.

Le chemin de la vie intérieure, c’est le Christ.
Dans le baptême et le sacrement de la pénitence, son sang nous lave de nos péchés, nous ouvre les yeux à la lumière éternelle, ouvre nos oreilles à l’écoute du verbe divin, et nos lèvres par le cantique, les prières d’expiations, de de mande ou de louange qui sont toutes différentes formes de l’adoration, à savoir l’hommage d cela créature au tout-puissant Miséricordieux.
En étant nourris de la chair et du sang du Christ, nous devenons nous-mêmes sa chair et son sang. Ce n’est que si nous sommes et restons membres de son corps que l’esprit de Jésus nous animera et régnera en nous.

Une saint Brigitte, une Catherine de Sienne, ou encore Sainte Thérèse, la puissante réformatrice de son ordre au temps du déclin de la foi, qui, voulant porter secours à l’Église, vit que le meilleur remède était le renouvellement d’une vraie vie intérieure.

Le point centrale de l’âme est le lieu d’où sourd la voix de la conscience qui se fait entendre et le lieu de la prise de décision libre et personnelle. Aussi, comme l’union d’amour avec Dieu nécessite le libre don de soi, ce lieu de libre décision doit être le lieu même de la libre union avec Dieu. On comprend donc par là pourquoi Thérèse d’Avila voyait dans l’abandon de sa propre volonté pour celle de Dieu la chose la plus essentielle à l’unification : l’abandon de notre volonté, c’est ce que Dieu désir de nous tous, ce dont nous pouvons nous acquitter. Ce don est la mesure de notre sainteté. Il est en même temps la condition de l’union mystique qui n’est pas en notre pouvoir mais qui est un libre présent de Dieu.

Plus quelqu’un est empli de l’amour divin,  plus il est apte à assurer par principe la suppléance de tous.

Dans la sécheresse et le vide, l’âme devient humble. L’orgueil premier s’évanoui lorsqu’on ne trouve plus rien en soi qui inciterait à regarder autrui de haut ; au contraire, les autres apparaissent bien plus parfaits, l’amour et l’estime pour eux s’éveillent au coeur. C’est aussi qu’on a maintenant trop à faire avec sa propre misère pour prendre garde à autrui. Dans sa détresse, l’âme devient soumise et obéissante : elle aspire à être guidée pour gagner le droit chemin.

Après une longue pratique de la vie spirituelle, l’âme n’a plus à se livrer davantage à la méditation pour connaître Dieu et apprendre à l’aimer. Le chemin est déjà parcouru, elle repose au but. Aussitôt qu’elle entre en prière, elle est auprès de Dieu et demeure, dans l’abandon amoureux, en sa présence. Le silence de l’âme vaut mieux que mille paroles.

C’est de grâce qu’il s’agit lorsque nous atteint le message de la foi, la vérité révélée de Dieu. C’est la grappe aussi qui nous offre d’accueillir le message de la foi — même s’il nous faut parachever cela dans une libre décision —  et ainsi devenir croyant. Sans le secours de la grâce, il n’y a pas de prière et de méditation possible. Et pourtant tout cela est le fait de notre liberté et s’opère avec l’aide de nos propres forces. Il tient également à nous de vouloir entrer en prière, et de vouloir ou non prolonger cette prière.
 
Parce que l’entendement naturel n’est pas apte à recevoir la lumière divine, il doit, par la contemplation, être conduit vers l’obscurité.

C’est pourquoi l’âme peut considérer la sécheresse et l’obscurité comme d’heureux indices : indices que Dieu est occupé à la libérer d’elle-même, en lui arrachant sa force d’âme. Elle aurait pu, bien sûr, gagner beaucoup par sa seule force mais jamais elle n’aurai pu agir aussi pleinement  et sûrement qu’en ce moment où Dieu la prend par la main. Il l’a conduit comme on conduit un aveugle, sur des chemins obscures, sans qu’elle sache où elle est, ni où elle va ; des chemins pourtant qu’elle-même, en ses pérégrinations les plus heureuses, a avec l’aide de ses seuls yeux et de ses propres pas, n’aurait jamais trouvés. Elle progresse ainsi à grands pas sans s’en rendre compte, en ayant peut-être même l’impression d’être perdue.

L’idée a été jadis exprimée que les souffrances de la « nuit obscure » sont une participation aux souffrances du Christ, surtout à la plus profonde : l’abandon de Dieu. Ceci a obtenu une confirmation expresse dans le chant spirituel puisque là, le désir ardent du Dieu caché est la souffrance même qui règne sur le cheminement mystique tout entier. Elle ne cesse même pas dans la félicité de l’inuit nuptiale ; et d’une certaine façon, elle croît encore avec la connaissance et  l’amour grandissants de Dieu parce que se fait toujours plus prégnant le pressentiment de ce que la pure contemplation de Dieu dans sa gloire doit nous apporter.


IV. UNE VIE SELON L’EUCHARISTIE


Qui a visité le Seigneur dans sa demeure, ne voudra plus se préoccuper uniquement de soi et de ses intérêts : il commencera à s’intéresser aux affaires du Seigneur. La participation à la messe quotidienne nous fait entrer involontairement dans la vie liturgique.
Les prières et les habitudes du service à l’autel, dans le cycle de l’année liturgique, font sans cesse revivre devant les yeux de notre âme toute l’histoire du salut et nous font pénétrer toujours plus avant le sens de cette histoire. La messe nous réinculque toujours le mystère centrale de notre foi, la charnière d l’histoire du monde : le mystère de l’incantation et de la rédemption. Qui donc pourrait, l’esprit et le coeur ouverts, assister au saint sacrifice, sans perte saisi par le sens même du sacrifice et être porté par le désir d’ivraie sa personne et sa petite vie particulière à la dimension de la grande oeuvre du rédempteur ?

Souffrir et mourir c’est le lot de tout homme. Mais quand il est membre vivant du corps du Christ, la divinité de la tête confère à sa souffrance et à sa mort une force rédemptrice. C’est la raison objective pour laquelle tous les saints ont aspirés à la souffrance? Ce n’est pas une propension maladive à la souffrance. Au regard de l’enterrement naturel cela peut sans doute apparaitre comme une perversion. À la lumière de la rédemption, cette aspiration est cependant la plus haute sagesse. Ainsi, l’allié du Christ pourra persévéré, imperturbable, même dans la nuit obscure de l’éloignement et de l’abandon subjectif de Dieu ; la providence divine lui impose peut-être ce supplice pour libérer quelqu’un d’autre qui est, lui, objectivement entravé. Aussi « que ta volonté soit faite » même et surtout dans la nuit la plus obscure.

Notre amour pour les hommes est la mesure de note amour pour Dieu. Mais celui-ci est tout de même différent de l’amour humain naturel.
Pour les chrétiens, il n’y a pas « d’hommes étrangers ». Cet homme qui se tient devant nous et qui a besoin de nous, c’est toujours « le prochain ».
Et si l’amour du Christ vit en nous, nous ferons comme lui ; nous irons à la recherche des brebis égarées.

Davantage peut-être que du culte, les Évangiles nous parlent de prière solitaire dans le silence de la nuit, sur un sommet de montagne, dans le désert loin des hommes. Quarante jours et quarante nuits précédèrent l’activité publique de Jésus. Avant de choisir ses douze apôtres et de les envoyer dans le onde, il se retira pour prier dans la solitude de la montagne. L’heure passée sur le mont des oliviers lui servit à les préparer à la marche vers le Golgotha. Ce cri qu’il lança à son père, dans cette heure la plus dure de sa vie, nous a été révélée en quelques mots brefs, qui nous sont donnés comme une étoile polaire pour nos propres passages sur le Mont des Oliviers : « Père, si tu le peux, éloigne cette coupe de mes lèvres, mais que ta volonté soit faite et non la mienne ! » Ces mots sont comme un éclair qui, pour un instant, fait flamboyer devant nous le tréfonds de la vie spirituelle de Jésus, l’insondable mystère de l’être du Dieu fait homme et de son dialogue avec le Père.

C’est pourquoi il ne convient pas d’opposer la prière intérieure, libre de toutes formes transmises — et dite piété subjective — à la liturgie qui serait la prière « objective » de l’Église : toute vraie prière est prière de l’Église, toute prière authentique fait devenir quelque chose dans l’Église, et et par là, c’est l’Eglise même qui prie car c’est l’Esprit saint vivant en elle qui, dans chaque homme singulier « intercède pour nous en d’ineffables soupirs ». Voilà précisément « l’authentique prière » : car « personne ne peut dire Seigneur Jésus, si ce n’est dans l’Esprit Saint ».
S’abandonner à Dieu d’une manière aimante et sans limites et recevoir son amour end retour, la pleine et durable union, voilà la plus grande élévation du coeur que nous puissions atteindre, le plus haut degré de la prière. Les hommes qui l’ont atteint constituent véritablement le coeur de l’Église : en eux vit l’amour du Christ grand prêtre.

Dans la vie du Seigneur, ces heures passées dans le silence de la nuit à dialoguer seul à seul avec le Père furent sûrement les plus heureuses. Mais elles n’étaient qu’un court répit dans une activité qui le jetait au beau milieu de la mêlée pour ne lui offrir jour après jour et heure après heure qu’un mélange — véritable breuvage de vinaigre et de fiel — de faiblesse, de vilaine et de méchanceté humaine.

Nous ne savons pas où l’enfant divin veut nous conduire sur cette terre, et nous ne devons pas le demander avant l’heure. La seule chose que nous sachions, c’est que tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu et, de plus, que les chemins que tracent le Seigneur mènent au-delà de ce monde. Ô le merveilleux échange : le créateur du genre humain nous octroie, en prenant forme humaine, sa divinité.

La puissance du Dieu-roi a été différente de ce qu’avaient pu laisser imaginer les psaumes et les prophètes. Les romains sont restés maître du pays et les grands prêtres, les docteurs de la loi ont continué à tenir le pauvre peuple sous leur joug. C’est secrètement que ceux qui appartenaient au Seigneur portaient en eux le royaume des cieux. Outre qu’ils n’étaient pas déchargés de leur fardeau terrestre, nombre d’autres devaient encore leur échoir ; mais ce qu’ils portaient en eux, c’était une force à donner des ailes, qui adoucissait leur job et allégeait leur fardeau.

Pour imprégner toute une vie d’homme de la vie divine, il faut pendant toute la vie être en relation quotidienne avec le maître, être à l’écoute des paroles prononcées par lui qui nous ont été transmises et s’y conformer. Avant toute chose il faut prier, comme le Seigneur lui-même l’a enseigné et comme il n’a cessé de nous l’enjoindre avec insistance. « Priez et vous recevrez ». C’est la promesse certaine d’être exaucé. Et celui qui, quotidiennement, dit au fond du coeur :  « Seigneur, que ta volonté soit faite et non la mienne », peut en toute confiance penser qu’il ne peut faillir à la volonté divine, même quand il n’a plus aucune certitude objective.

Le Seigneur qui sait que nous sommes et restons des hommes ayant quotidiennement à combattre leurs faiblesses, vient au secours de notre condition humaine de manière totalement divine. Tout comme notre corps physique a besoin du pain quotidien, la vie divine en nous demande à être constamment nourrie. « Voici le pain vivant venu du ciel. » Celui qui en fait son pain quotidien voit s’accomplir en lui chaque jour le mystère de Noël, l’incarnation du Verbe.
Pour quiconque s’y essai, cela signifie pratiquement pour le plus grand nombre un changement de toute la vie, tant extérieure qu’intérieure. Mais c’est justement ce qui doit être. Dans notre vie il nous faut faire une place au Sauveur de l’Eucharistie pour qu’il puisse transformer notre vie en sa vie. Est-ce trop demander ?

Les prières solennelles des moines qui retentissent comme la bouche de l’Église, encadrent le saint sacrifice, trament et sanctifie tout autre « tâche quotidienne », si bien que la prière et le travail font une seule oeuvre de Dieu et une seule liturgie. Leurs lectures de l’Écriture, des Pères et des livres qui portent la mémoire de l’Église et de leurs pasteurs sont un chant de louange, toujours grandissant, pour l’action de la providence et la réalisation progressive de l’éternel dessein du salut. Leurs hymnes matinaux de louange appellent l’entière création à se rassembler à nouveau, pour s’unir dans la glorification du Seigneur : montagnes et collines, fleuves et rivières, mers et vents, pluie et neige ; tous les peuples de la terre.

Ton corps traverse
Mystérieusement le mien
Et ton âme s‘unit
À la mienne :
Voilà que je ne suis plus
Ce que j’ai été naguère.
Tu viens et tu vas
Mais tu laisses derrière toi
La semence
Que tu répandis
Pour la gloire à venir,
Enfouie dans une corps
De poussière.

Dans ton coeur
Habite la paix éternelle.
Tu voudrais la déverser
Dans tous les coeurs,
Tu pourrais
Les inonder ;
Pourtant tu ne trouve pas d’accès
Ici-bas.

Nous ne voyons ici, sur la terre,
Que des énigmes ;
Le créateur seul
Connaît l’être véritable.

Bénis le cortège
De ces noctambules
Que n’épouvante pas le spectre
Des chemins inconnus.

Es-tu cet éclair
Qui du haut du trône du juge
Jaillit ici-bas
Et fait irruption
Dans la nuit de l’âme,
Qui jamais ne se connut elle-même ?
Miséricordieux, il pénètre
Inexorablement ses replis cachés.


V. CROIX ET RÉSURRECTION

Dans la pauvreté, la solitude du Christ, l’âme retrouve sa pauvreté et sa solitude. Sécheresse, angoisse, et tourments sont la « Croix purement spirituelle » qui lui échoit. Dès qu’elle se charger de cette Croix, elle se rend compte qu’il s’agit d’un joug aisé et d’un fardeau léger. La Croix sera pour elle le bâton qui la conduira facilement vers les hauteurs.

Après la « nuit obscure », se met à rayonner « la vivante flamme de l’amour ».

Nous serons placé sur un chemin très sûr, à vrai dire un chemin obscure, enfoui dans la nuit : le chemin de la foi. C’est un chemin car il mène au but de l’unification. Mais c’est un chemin de nuit car en comparaison de la vision claire de l’entendement naturel, la foi est une connaissance obscure : elle nous fait connaître une chose, mais nous ne parvenons pas à la voir. C’est pourquoi il faut dire que même le but que nous atteignons sur le chemin de la Croix est obscure : Dieu reste pour nous ici-bas, même dans l’union bienheureuse, un Dieu voilé.
Mais tout comme la nuit cosmique qui n’est pas, pendant toute sa durée, d’une égale obscurité, la nuit mystique a des périodes et des degrés correspondants. La foi c’est l’obscurité de minuit, car là, ce n’est pas seulement l’activité des sens qui est interrompu mais aussi la connaissance naturelle de l’entendement. Cependant, lorsque l’âme trouve Dieu, l’aube du nouveau jour de l’éternité point déjà dans sa nuit.

De même que Jésus dans l’abandon de la mort se remit entre les mains du Dieu invisible et ineffable, de même l’âme s’en remettra à la nuit obscure de la foi, qui est l’unique chemin vers le Dieu ineffable. Ainsi lui est octroyée la contemplation mystique, le « rayon des ténèbres », la mystérieuse sagesse divine, la sombre et universelle connaissance : elle seule répond au Dieu inconcevable qui éblouit l’entendement et lui apparaît comme ténèbres.

Dieu n’est reconnu que lorsqu’il se révèle, et les esprits à qui il se révèle transmettent cette révélation. Connaitre et proclamer vont de pair. Cependant plus haute est la connaissance, plus elle est obscure et mystérieuse, moins il est possible de la saisir avec des mots.

Plus l’âme monte vers haut Dieu, plus elle descend profondément en elle : l’union se réalise au coeur de l’âme, au plus profond d’elle-même.

Ainsi la réalisation de son être propre, l’union avec Dieu, l’action pour l’union des autres avec Dieu et la réalisation de leur être sont indissolublement liées.

L’effondrement progressif de la nature donne à la lumière surnaturelle et à la vie divine de plus en plus d’espace. Il s’empare des forces naturelles et les change en force divinisés et spiritualisés. Ainsi s’accomplit une nouvelle incarnation du Christ dans le chrétien, qui équivaut à ressusciter de la mort sur la Croix. L’homme nouveau porte les stigmates du Christ sur son corps : le souvenir de la détresse du péché d’où il s’est éveillé pour une vie bienheureuse et du prix qu’il a fallu payer pour cela.

C’est bien autre chose d’être un instrument choisi, et de se trouver en état de grâce. Nous n’avons pas à juger, nous devons faire confiance à la miséricorde insondable de Dieu.

Il se peut que la forme de vie présente ne nous apparaisse que peu adéquate à la vie idéale — qu’en savons-nous au fond ? — mais que nous soyons là, ici et maintenant, pour réaliser notre salut et celui des gens qui nous sont confiés, de cela on ne peut douter. Que nous apprenions de plus en plus chaque jour et chaque heure, à construire en éternité — voilà en quoi nous voulons nous aider mutuellement dans la prière, en cette heure sainte, n’est-ce pas ?

Quelques dix jours après mon retour de Beuron, me vint cette pensée : ne serait-ce pas enfin l’heure d’entre au Carmel ? Le Carmel était mon but depuis presque douze ans. Depuis qu’en l’été 1921, la Vie de notre sainte Mère Thérèse m’était tombée entre les mains, mettant fin à ma longue recherche de la vraie foi.

Que pourrait-on me dire en guise de consolation ? Il n’est assurément pas de consolation humaine, celui qui impose la Croix sait rendre le fardeau doux et léger.

Il est bon de penser que nous avons au ciel notre droit de citoyenneté et les saints du ciel comme concitoyens et colocataires. On supporte mieux aise les choses qui sont sur terre.

Nous avons que tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu, Rm, 8,28. profite surement à  ma chère mère parce qu’elle a réellement aimé « son » bon Dieu (comme elle disait avec insistance) et que, dans la confiance en lui, elle a supporté bien des peines et faut beaucoup de bien.









 

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